France-Israël : autour d’un Stade de France presque vide, un rassemblement contre « le match de la honte »

 

       Un rassemblement de soutien à la cause palestinienne, le 14 novembre 2024 à Saint-Denis. © Photo Ilyes Ramdani / Mediapart
Plusieurs centaines de personnes ont protesté à Saint-Denis contre l’organisation du match de football entre la France et l’Israël. La présence dans les tribunes d’Emmanuel Macron a nourri les procès en « complicité de génocide » à l’endroit du gouvernement.

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).– Les rues qui entourent le stade de France ont retrouvé le maillage policier de l’été olympique. Sans les fans ni la ferveur. Cette fois-ci, il fait nuit, il fait froid et surtout, il fait lourd. L’équipe de France de football doit affronter la sélection israélienne dans moins d’une heure, mais rien n’est comme d’habitude.
Deux ou trois grappes de supporters israéliens rejoignent sous haute escorte policière l’enceinte dionysienne. Les supporters français se font rares : jamais un match des Bleus n’avait attiré si peu de monde à Saint-Denis (16 611 spectateurs et 80 % de places vides).
Tarek aurait pu en être. Habitué des matchs des Bleus, cet architecte de 31 ans avait acheté cinq places pour la rencontre. Et puis non, finalement. « Je ne me voyais pas aller regarder du foot dans un contexte comme ça », résume l’habitant d’Aubervilliers, à deux pas du Stade de France. Le « contexte », explique-t-il, ce sont les massacres à Gaza et au Liban, la tonalité sécuritaire prise par le match après les événements d’Amsterdam, la « double fouille » promise à l’entrée, et tout le reste.
À la place, Tarek a enfilé son maillot d’Éric Cantona, empoigné son drapeau de la Palestine et marché jusqu’à la place du Front populaire, à deux kilomètres du Stade de France. Ils sont quelques centaines à avoir répondu comme lui à l’appel de plusieurs organisations de soutien à la cause palestinienne. Une manifestation en guise de contre-programmation, centrée sur un mot d’ordre : « On ne joue pas avec le génocide. »
À l’initiative aux côtés du collectif Urgence Palestine, La France insoumise (LFI) est représentée par deux de ses parlementaires, Éric Coquerel et Ersilia Soudais. « Quand on voit l’affluence au stade, on se dit qu’il y a déjà une forme de boycott populaire, se félicite le premier, député de la circonscription. Le peuple, il est en grande partie ici, à dire qu’il a honte de voir le président de la République courir au stade pour ce match. C’est un vrai scandale. Le message qu’on envoie à Israël, c’est : “Continuez le génocide, la France regarde ailleurs.” »
La présence au Stade de France d’Emmanuel Macron, mais aussi de ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy, revient jeudi soir dans toutes les prises de parole, suscitant à chaque fois les mêmes huées de la foule. « Ça montre la complicité totale de la France dans le génocide en cours, tonne l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, expulsé en décembre 2022 d’Israël. L’État d’occupation doit être isolé à tous les niveaux : diplomatique, culturel, économique. Il faut lui imposer un embargo. La présence de cette équipe est une honte pour la France. »

Montrer un autre visage de la France
Sur scène, Sonia Fayman, de l’Union française juive pour la paix (UJFP), rappelle combien « le sport est une affaire politique », à rebours des appels de l’exécutif à « ne pas politiser » le football. « On ne vise pas des footballeurs mais des institutions, martèle la militante. Cette équipe fait partie d’un système qui s’est construit depuis soixante-seize ans et qui est fondé sur l’oppression, la négation et le rejet du peuple palestinien. » Éric Coquerel fait la comparaison que beaucoup évoquent dans la foule : « Vous imaginez Emmanuel Macron aller à un match France-Russie, vous ? »
Entre chaque intervention, la foule reprend les mots d’ordre habituels, « Nous sommes tous des enfants de Gaza » ou « Vive la lutte du peuple palestinien ! » en tête. Une banderole et plusieurs intervenant·es appellent également à la libération du militant libanais Georges-Ibrahim Abdallah, détenu depuis quarante ans en France. Devenu une figure de la cause palestinienne, l’ancien activiste marxiste saura vendredi 15 novembre si sa onzième demande de libération est acceptée par la justice.
En attendant, les discours et les slogans réveillent une foule d’abord frigorifiée, mélange de mouvements militants, d’étudiant·es et enseignant·es du Campus Condorcet tout proche, ainsi que d’habitant·es de Saint-Denis et des villes voisines. Drapeau palestinien sur le dos, Souad a traversé Paris depuis Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). « Face à ce qui se passe là-bas, je fais ce que je peux, souffle cette professeure de mathématiques dans le secondaire. Je manifeste, j’envoie un peu d’argent… S’il n’y avait pas des mobilisations comme celle-là, je ferais une dépression. »
À quelques mètres de là, Bayanne ressent une forme de « devoir » d’être là. Elle sait, au fond, que tout cela ne changera pas grand-chose. En tout cas pas tout de suite. « Mais on doit faire notre part, lance cette trentenaire, cadre dans la grande distribution. Il faut que chacun se bouge, qu’on sorte en manif’, qu’on interpelle nos dirigeants, qu’on en parle autour de nous. On veut faire passer le message à l’étranger qu’il y a une autre France que celle de nos dirigeants. Même si on se sent impuissant, c’est une manière de ne pas être complice d’un génocide. »
Tarek pense à sa fille de un an, à chaque fois qu’il manifeste pour la Palestine. « Un jour, elle va grandir et elle se posera des questions, imagine-t-il. Qu’est-ce que je faisais pendant qu’un peuple était supprimé ? D’habitude, on étudie l’histoire. Là, on la vit, on l’écrit à notre manière. Donc j’essaie de faire le minimum. »
Au milieu des affichettes indiquant que « le génocide n’est pas un sport olympique » ou sommant la France d’arrêter « le deux poids deux mesures », la présence d’Emmanuel Macron au Stade de France est plus vilipendée encore par les personnes présentes que le maintien du match. « Je suis écœurée, souffle Souad, la prof de maths. Trois présidents de la République pour soutenir une équipe dont le pays est en train de tuer tout un peuple ! Ils sont venus montrer patte blanche, sur le dos des Palestiniens. »

LFI, seul parti de gauche représenté
Les médias en prennent aussi pour leur grade, accusés d’invisibiliser la cause palestinienne et de criminaliser ses militant·es. « Médias français, montrez la vérité », scande même la foule en fin de rassemblement. « J’espère qu’ils ne vont pas raconter partout qu’on a eu des paroles antisémites, parce que ce n’est pas vrai ! », implore une oratrice au micro. Les médias français sont peu nombreux, à vrai dire, et les rares journalistes en duplex travaillent pour des chaînes d’information en arabe.
La gauche non plus ne brille pas par sa présence. Seule La France insoumise, qui a déposé en préfecture la déclaration de manifestation, est représentée. Ni le maire socialiste de Saint-Denis Mathieu Hanotin ni le député communiste du coin Stéphane Peu ne sont là. « La ville de Saint-Denis s’est efforcée de pouvoir garantir la liberté d’expression », a souligné le premier dans un communiqué, « faisant des propositions de relocalisation » de la manifestation initialement prévue devant l’hôtel de ville.
Un peu isolé dans la foule, Bernard applaudit Jean-Luc Mélenchon, « le seul dans la classe politique à voir la dimension coloniale de tout ce qui se passe ». Johanna, 29 ans, trouve que LFI « fait honneur à la France ». « J’espère que les gens se le rappelleront, explique la jeune femme, jamais encartée. Les autres partis de gauche n’arrivent pas à mettre des mots aussi clairs sur ce qu’il se passe. »
Sur demande de la préfecture de police de Paris, le rassemblement se termine un peu avant 20 heures, sans les heurts que certains redoutaient. Bernard regagne, avec sa femme, son domicile à quelques centaines de mètres. Le couple d’octogénaires est revenu s’installer en région parisienne il y a peu. « On a vendu notre maison dans les Hautes-Alpes et on a choisi de s’installer à Aubervilliers, raconte cet ancien fonctionnaire de la Cour des comptes. Rester dans ce confort, avec tout ce racisme, ça n’était pas possible. On avait besoin de militer. »
Face à notre étonnement, Bernard insiste. « Là où on était, les gens nous expliquaient qu’ils partaient parce qu’il y avait trop d’Arabes dans les grandes villes, cingle-t-il. Eh bien nous, c’est l’inverse ! On se sent bien ici. On est là, on milite, on vient à chaque fois qu’on peut. Ça ne fait que deux personnes de plus, ça ne change pas grand-chose mais ça nous fait du bien. Certains pensent que lutter ne sert à rien. Pas nous ! Je serai peut-être mort mais on finira par gagner. Et la Palestine finira par être libre. »

Ilyes Ramdani
Médiapart du 15 novembre 2024

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