Rassemblement de solidarité avec les Palestiniens à Rabat, le 6 octobre 2024. © Photo AFP |
Casablanca (Maroc).– Tanger, place de France. Lundi 28 octobre, une foule est venue protester devant le consulat de France contre la position du président Emmanuel Macron à l’égard de la cause palestinienne. « Macron, menteur, la résistance n’est pas du terrorisme », entend-on sur cette vidéo. Ou encore : « France, France, ennemie des peuples. » Le même jour, à Rabat, l’ambiance était bien différente : le chef de l’État y était fastueusement accueilli avec sa vaste délégation, et défilait aux côtés du roi Mohammed VI dans les rues de la capitale marocaine.
« Le président français n’est pas le bienvenu dans notre pays », selon Mohammed Ghafri, coordinateur du Front marocain de soutien à la Palestine et de lutte contre la normalisation, à l’origine du rassemblement du 28 octobre. Tout au long de la visite d’État, ce front formé par plusieurs associations et partis – dont la puissante organisation islamiste Al Adl wal Ihssane (« Justice et bienfaisance ») – s’est mobilisé quotidiennement, comme il en a pris l’habitude depuis le 7 octobre 2023. Après Tanger, c’est justement à Rabat, devant le Parlement, qu’il est venu pour répondre au discours présidentiel prononcé le lendemain.
Dans un pays qui a normalisé ses relations avec Israël, Macron « n’est pas le bienvenu, compte tenu de ses positions et de celles de l’État français à l’égard de la cause palestinienne. Quant au régime marocain, connu pour son alliance grandissante avec l’État d’occupation sioniste [Israël – ndlr], sa dépendance aveugle vis-à-vis de la France et son caractère autoritaire, sa politique fait l’objet de notre lutte permanente jusqu’à parvenir à l’annulation de l’accord de normalisation avec l’occupant », écrivait le Front dans un communiqué diffusé juste avant l’arrivée du président de la République.
Pendant la visite, les formules d’Emmanuel Macron ont également suscité des réactions, y compris chez le leader du parti islamiste Justice et développement (PJD). L’ancien premier ministre Abdelilah Benkirane a fait part, dans une lettre ouverte au chef de l’État français, de son « grand étonnement quant au contenu de [son] discours concernant la guerre meurtrière que mène Israël à Gaza », alors que le président de la République a réaffirmé qu’« Israël a le droit de défendre son peuple contre [la] menace » apparue le 7-Octobre.
À la tribune du Parlement marocain, Emmanuel Macron a également tenté de dessiner une forme d’alliance franco-marocaine pour peser en faveur de la paix au Proche-Orient. Rappelant les appels de Paris en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza et au Liban, il a tenu à « rendre hommage à l’action » du monarque marocain sur le terrain diplomatique et à son « investissement personnel » pour acheminer l’aide humanitaire jusqu’aux populations civiles. « Le Maroc porte une voix forte et singulière, a-t-il conclu. C’est, il me semble, la voix de la raison et de la justice. »
L’ambivalence des islamistes du PJD
La voix royale est de plus en plus couverte, dans le royaume chérifien, par les procès en complaisance à l’égard de l’État hébreu. Depuis l’embrasement du conflit à Gaza, le leader islamiste Abdelilah Benkirane cherche à s’ériger en rempart contre la normalisation des relations Maroc-Israël. Pourtant, en 2020, les accords d’Abraham qui l’avaient scellée avaient bien été signés par un gouvernement PJD, mais dirigé à l’époque par Saâd-Eddine El Othmani.
Dans sa lettre ouverte, Abdelilah Benkirane a requalifié le Hamas de « mouvement de résistance qui pratique le droit légitime reconnu par le droit international à tous les peuples de se défendre contre l’occupation et l’extermination », le comparant au Mouvement de libération nationale au Maroc, aux Forces françaises libres (FFL) en France ou au Front de libération nationale (FLN) en Algérie.
Des deux côtés de la Méditerranée, l’actualité au Proche-Orient est devenue un sujet de politique intérieure que n’ont pas manqué d’aborder les deux chefs d’État aux cours de leurs échanges. À Paris comme à Rabat, une partie de la classe politique et de la société mobilisée ont fait entendre de vifs reproches à l’égard de leurs dirigeants, accusés d’entretenir l’impunité d’Israël.
Emmanuel Macron comme Mohammed VI ont parfois donné le sentiment d’être tiraillés entre leur relation avec le gouvernement israélien et leur indignation, exprimée à bas bruit, à l’égard du sort des populations civiles de Gaza. Au point de rendre leur positionnement peu lisible au sein des opinions publiques de leurs pays respectifs, où le soutien à la cause palestinienne est puissant. « C’est un sujet hyper émotionnel, qui enferme tout de suite dans une nasse, déplorait récemment à ce sujet un conseiller du président de la République. Dès qu’il dit quelque chose, il est poussé d’une rive à l’autre, accusé de tous les maux. C’est complexe. »
Treize mois après le 7-Octobre, le sujet a évidemment été à l’ordre du jour des échanges entre les deux dirigeants. Lesquels s’accordent, selon l’Élysée, sur la nécessité d’agir vite et fort pour l’obtention d’un cessez-le-feu. La convergence de leurs intérêts paraît ici évidente : aux yeux d’Emmanuel Macron, tisser des alliances stratégiques avec des puissances du monde arabo-musulman est une des manières de contourner l’isolement de Paris sur la scène diplomatique.
Un rassemblement interdit à Casablanca
Au dernier jour de la visite d’État, le Front marocain de soutien à la Palestine et de lutte contre la normalisation s’est remobilisé, cette fois, face au consulat de France à Casablanca… mais s’est retrouvé confronté aux forces de l’ordre.
« Personne n’a été arrêté, mais il y a eu des interventions policières violentes. Deux personnes ont été blessées et emmenées à l’hôpital pour recevoir des soins, détaille Mohammed Ghafri, joint par téléphone. La police a usé de la force pour empêcher les citoyens de s’approcher du consulat français à Casablanca. Les citoyens et citoyennes ont essayé de négocier avec les autorités pour pouvoir juste se rassembler pacifiquement, dire un mot et partir… Mais elles ont refusé. Dès que quelqu’un levait une pancarte, la police s’approchait et le poussait. »
« Cela fait un an que nous marchons sans être perturbés. Ils ont fait ça pour “honorer” la France », ajoute le coordinateur du Front marocain de soutien à la Palestine et de lutte contre la normalisation. Depuis le 7 octobre 2023, les très nombreuses marches et rassemblements de soutien à la Palestine se déroulent en général dans le calme, mais ce n’est pas la première fois qu’il y a des affrontements.
À Salé, le 25 novembre 2023, la police avait saisi les haut-parleurs et déchiré les pancartes et drapeaux d’un groupe de militants rassemblés devant un magasin Carrefour. Treize activistes avaient été arrêtés aux motifs d’un rassemblement « non autorisé » et d’une « incitation à manifester ». Leur procès aura lieu le 7 novembre.
Camélia Echchihab et Ilyes Ramdani
Médiapart du 02 novembre 2024
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