Ce que vous trouverez caché dans mon oreille, de Mosab Abu Toha, traduit de l’anglais (Palestine) par Ève de Dampierre-Noiray, Julliard, 188 pages, 20 euros. |
Mosab (« le difficile », en arabe) sort acheter des œufs dans une rue de Gaza. Il a 16 ans. Fauché par une bombe, des éclats d’obus lui trouent le cou, le front, l’épaule. L’épisode est rapporté dans ce livre, écrit avant le 7 octobre et le début de la guerre d’Israël dans la bande de Gaza.
Composés sur place, à chaud, griffonnés dans des carnets, ces poèmes sont emplis de deuils (ses trois meilleurs amis en 2014, son frère en 2016…), de décombres, de frontières aux lignes « inventées, cousues dans le sol par les balles », de journées éprouvantes avant la guerre totale.
La peur des obus tirés au hasard
Né en 1992 à Gaza, dans le camp de réfugiés Al-Shati, Mosab se fait le porte-voix des souffrances de son peuple dans l’enclave sous blocus. Poète, universitaire, bibliothécaire, il explore les identités éclatées dans une « ville qui n’est plus que dans les cratères ». On n’a jamais eu l’occasion d’éprouver à un tel point l’horreur vécue par les Gazaouis. Ils n’osent allumer les lumières par peur des obus tirés au hasard.
La maison du voisin est au sol « comme un vieux tapis », des pantoufles sont « échappées de pieds sans jambes ». Une fillette aux mains dans les poches « les remue comme si elle comptait des pierres. Elle vient de perdre sept doigts à la guerre ». Pourtant, « les maisons n’étaient pas du Hamas. Les enfants n’étaient pas du Hamas. Leurs vêtements et leurs jouets n’étaient pas du Hamas ».
Cet au jour le jour sous les bombes irrigue le livre. La nostalgie aussi : « Je n’ai jamais pratiqué mon enfance. » Et l’humour : un homme ouvre d’instinct son parapluie quand un F16 survole la ville. Où est mon pays, où est-il ? répète le poète. Il se trouve dans l’ombre des arbres déracinés sur le chemin de l’école, dans l’odeur du café « flottant dans l’air mais où est la cuisine » ?
L’aïeul, chassé de Jaffa en 1948, enterré à Gaza, hante les lignes. Sa tombe est introuvable. Le cimetière a été bombardé. Mosab, qui « tisse (ses) poèmes avec (ses) veines », arrose mentalement sa photo comme on arrose une fleur. La clef de sa maison, à Jaffa, rouille aujourd’hui dans la poche de Mosab, son petit-fils, exilé à New York avec sa femme et ses trois enfants.
Muriel Steinmetz
L'Humanité du 20 novembre 2024
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