Annie Ernaux : « Georges Ibrahim Abdallah est victime d’une justice d’État qui fait honte à la France »

 

       Prix Nobel de littérature en 2022, Annie Ernaux défend la libération de Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais en prison depuis 40 ans. © Leonardo Cendamo / Opale.photo
L’écrivaine Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, se bat pour la libération du militant communiste libanais, incarcéré depuis quarante ans, et libérable depuis plus de vingt.
Contre l’injustice, des milliers de personnes manifesteront ce samedi 26 octobre, à 14 heures, à la gare de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, en solidarité avec Georges Ibrahim Abdallah. Le militant communiste libanais, qui luttait dans les années 1980 contre l’occupation de son pays par Israël, est incarcéré depuis quarante ans. Il a été condamné à la détention à perpétuité pour complicité d’assassinat de deux diplomates états-unien et israélien, à Paris, en 1986.
« Il n’y a aucune preuve qu’il ait participé aux assassinats qui lui sont reprochés », rappelait son avocat Jean-Louis Chalanset, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale. Pis, il est libérable depuis 1999, mais les pressions états-uniennes et israéliennes sur les autorités françaises font qu’il est maintenu en détention. Le 7 octobre, deux magistrats ont auditionné le plus vieux détenu politique d’Europe. Ils doivent maintenant rendre leur décision. Soutien de la libération de Georges Ibrahim Abdallah, la prix Nobel de littérature Annie Ernaux exige sa libération.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à Georges Ibrahim Abdallah ?
J’ai entendu parler de lui dans les années 1980. Je suis à l’époque très marquée par les attentats de 1986. J’oublie. Et d’un seul coup, au milieu des années 2010, j’apprends qu’il est toujours en prison en France. Je suis étonnée. Je lis son histoire dans le Monde diplomatique. Depuis deux ans, je suis attentivement son sort, je me suis documentée. Ça a été une stupéfaction. Je n’imaginais pas qu’un homme puisse être enfermé dans une prison française et qu’il ne soit pas question de sa libération. J’ai appris qu’il était le plus vieux prisonnier politique d’Europe.
J’ai milité pour la libération de Mumia Abu-Jamal dans les années 2000. Et j’apprends qu’en France, il y a un prisonnier politique dont plus personne ne parlait. Cela suscite une colère en moi. C’est une honte pour la France. J’ai appris pourquoi sa libération a été refusée alors qu’il est libérable depuis 1999. Elle n’est pas appliquée parce que les États-Unis et Israël ont fait pression sur la France sous la présidence de François Hollande. Et c’est Manuel Valls (alors ministre de l’Intérieur – NDLR) qui, en 2013, a refusé de signer le décret d’expulsion vers le Liban qui est sa patrie1.
Maintenant, la situation est difficile : Georges Ibrahim Abdallah est devenu le symbole de la lutte palestinienne. Puisque la France a pris le parti – plus que moins – d’Israël, on est dans une position de politique extrêmement grave.

En vous penchant sur le dossier, qu’avez-vous appris sur l’implication de Georges Ibrahim Abdallah dans les attaques de 1986 ?
À l’époque, j’ai vaguement suivi en pensant qu’il était vaguement coupable des attentats. Par la suite, il a été reconnu par Robert Pandraud (ministre délégué à la Sécurité de Charles Pasqua à l’époque – NDLR) que Georges Ibrahim Abdallah ne savait rien du tout, et qu’il a été accusé parce qu’il était là, qu’il n’était pas impliqué dans les attentats de 1986.

Que dit cette non-libération de la justice française ?
Elle est aux ordres dans certains cas. La justice est ici dépendante d’un pouvoir politique qui ne veut pas de sa libération. Bon sang ! Il y a des gens comme Raoul Salan, Maurice Challe qui ont fait un putsch à Alger en 1961, qui se sont soulevés contre le gouvernement français et qui ont été libérés (en 1968 et 1966 – NDLR). Ils ne sont pas morts en prison, contrairement à ce qui est en train d’être fait pour Georges Ibrahim Abdallah.

Cette affaire dit-elle quelque chose du rapport de la société française à la prison ?
Laisser des gens mourir en prison reste la grande punition. Et le recours à la détention est de plus en plus fort : les prisons sont pleines. On en reste à la sanction et on ne met pas à disposition de moyens de réinsertion. Ce désir d’enfermer les délinquants et les fous reste très fort dans la société. Nous sommes vraiment dans une justice d’État qui fait honte à la France.

Votre œuvre littéraire accorde une grande part à la place de l’individu dans l’espace social. Quelle est la place de l’individu Georges Ibrahim Abdallah dans l’espace social ?
Il n’a malheureusement pas la chance d’être très connu dans l’espace social… C’est la raison pour laquelle on souhaite le conserver en prison. Il représente la lutte palestinienne et le droit des Palestiniens à avoir leur État. Hormis l’Humanité, cette question a été tenue sous le boisseau. Il est sûr qu’on arrive à un moment très difficile après quarante de détention. Il est un symbole. Georges Ibrahim Abdallah n’a cessé, pendant quarante ans, de réfléchir, de s’informer, d’être actif et d’être un intellectuel.

Gaël De Santis
L'Humanité du 24 octobre 2024

(1) - Les juges avaient autorisé sa libération, soumise à son expulsion.

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