Nétanyahou devant le Congrès des États-Unis : « Ma guerre est la vôtre »

 

Benyamin Nétanyahou, premier ministre d’Israël, s’exprime devant le Congrès des États-Unis, le 24 juillet 2024, à Washington. © Photo Josh Morgan / Abaca
Devant représentants et sénateurs, le premier ministre israélien a une nouvelle fois asséné le discours du bien contre le mal, posant l’État hébreu en protecteur des États-Unis au Moyen-Orient, sans évoquer la moindre perspective de négociation ou de paix. Il a été moins applaudi que lors de ses adresses précédentes.
Dans le décor cossu et solennel du Capitole, des applaudissements. Dans les rues alentour, les huées de milliers de manifestant·es. À l’intérieur, les hommages aux soldats israéliens. À l’extérieur, les mots « génocide » et « criminel de guerre » sur les pancartes.
Dans la bouche de Benyamin Nétanyahou, la guerre jusqu’à la « victoire totale ». Dans celles de ses contempteurs et contemptrices, l’exigence d’un accord pour un cessez-le-feu et un échange de prisonniers.
Ce mercredi 24 juillet aurait dû être, pour le premier ministre israélien, un moment de triomphe. C’est pour cela qu’il a tenu à faire ce voyage états-unien. Faisant fi des critiques suscitées dans son pays : des opposant·es sont allé·es jusqu’à essayer de bloquer son avion, exigeant qu’il reste à son bureau jusqu’à l’obtention d’un accord de cessez-le-feu et la libération des derniers otages israéliens aux mains du Hamas encore en vie.
« Il va aux États-Unis en vainqueur, car c’est la perception qu’il a de lui-même, et celle qu’ont ses soutiens, analyse auprès de Mediapart Menachem Klein, professeur de sciences politiques à l’université de Bar-Ilan en Israël. Il veut démontrer qu’il y est populaire, qu’il est adoubé par les partis politiques, qu’il y est applaudi et qu’il a raison, en somme, de tenir la ligne qu’il a adoptée. »
Menachem Klein voit dans cette posture un message à triple destination : « À usage domestique, pour le personnel politique américain, et pour la Cour pénale internationale. »
Le premier ministre israélien a toujours en tête ce 21 mai 2024, quand le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a demandé aux juges d’émettre un mandat d’arrêt contre lui, contre son ministre de la défense Yoav Gallant, et trois responsables du Hamas, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Un discours martial, aucune perspective
« Il s’agit de quelqu’un qui sera bientôt inculpé de crimes de guerre, et il reçoit l’honneur de s’adresser à une session conjointe du Congrès !, s’indigne Stephen Zunes, spécialiste du Proche et Moyen-Orient et professeur de relations internationales à l’université de San Francisco. Sa visite en dit long sur l’isolement des États-Unis au sein de la communauté internationale quant à la question du soutien à Israël. »
Benyamin Nétanyahou a assurément des motifs de satisfaction. Il peut presque considérer le Capitole comme sa seconde maison politique : avec ce discours du 24 juillet devant le Congrès, il bat un record. Il est le seul dirigeant à avoir été invité quatre fois à discourir devant les élu·es des deux chambres. Même Winston Churchill, adulé outre-Atlantique, n’a connu cet honneur que trois fois.
Comme les fois précédentes, il a reçu un nombre impressionnant d’ovations, les élu·es ne cessant de se lever et de se rasseoir pendant les 52 minutes de son discours. Les slogans creux et les phrases qui claquent ont résonné agréablement aux oreilles de la majorité des représentant·es et des sénateurs et sénatrices. « Ce n’est pas un choc de civilisations. C’est un choc entre la barbarie et la civilisation », a martelé Nétanyahou.
L’ennemi désigné, outre le Hamas, est une nouvelle fois l’Iran, parrain d’un « axe de la terreur ». Lequel, a prétendu le premier ministre, « défie les États-Unis, Israël et [leurs] amis arabes » : « Quand nous combattons l’Iran, nous combattons l’ennemi le plus radical et le plus meurtrier des États-Unis », a-t-il encore affirmé.
La conclusion, à ses yeux, coule de source : « Nos ennemis sont vos ennemis, notre combat est votre combat et notre victoire sera votre victoire. » Il faut cependant que les États-Unis, qui arment pourtant largement l’État hébreu, se montrent plus engagés : « Donnez-nous les outils plus rapidement, et nous finirons le travail plus vite. »
Critique à peine voilée à l’égard de Joe Biden, malgré un hommage apparent à celui qui « est venu en Israël pour se tenir [aux] côtés [des Israéliens] pendant [leurs] heures les plus sombres » juste après les massacres du 7 octobre. Le président états-unien a, en mai dernier, décidé de suspendre la livraison de 1 800 bombes de très gros calibre – 900 kilos. Critique d’autant plus outrancière que l’exécutif états-unien a annoncé, à la fin de ce même mois de mai, une livraison d’armes pour un montant d’environ un milliard d’euros…
Benyamin Nétanyahou n’a pas eu un mot pour les près de 40 000 Palestinien·nes tué·es dans la bande de Gaza par l’armée israélienne depuis octobre dernier. Il a en revanche profité de la tribune offerte par le Congrès des États-Unis pour nier la famine à Gaza, l’usage disproportionné de la force et le ciblage des civils palestiniens par l’armée israélienne, autant d’accusations figurant dans le dossier du procureur de la Cour pénale internationale.
Balayant toute critique, il a aussi insulté les manifestant·es, y compris des juifs états-uniens et des familles des otages israéliens, qui, ce mercredi encore, protestaient contre sa politique. « Beaucoup choisissent de se ranger du côté du mal, du Hamas, des violeurs et des assassins, a-t-il déclaré. Ils devraient avoir honte. » En outre, avance-t-il, dans une déclaration à l’emporte-pièce et sans apporter le moindre élément de preuve, « pour autant que nous le sachions, l’Iran finance les manifestations anti-israéliennes qui se déroulent en ce moment même à l’extérieur de ce bâtiment ». Et voilà celles et ceux qui le critiquent dépeints en « idiots utiles de l’Iran ».
« Je ne suis pas un grand fan de beaucoup de ces manifestants, mais ils ont le droit de manifester tant qu’ils n’interfèrent pas avec les droits d’autrui, a déclaré au New York Times le sénateur Ben Cardin, président de la commission des affaires étrangères. J’ai trouvé que les commentaires du premier ministre [israélien] à leur sujet – les caractérisant tous d’une certaine manière – ne correspondaient pas à ce que j’aurais voulu voir. »
C’est là un des multiples exemples de réactions pour le moins tièdes exprimées par nombre d’élu·es démocrates.

Au sein des démocrates, le soutien à Nétanyahou vacille
Car s’il a été invité à la fois par les chefs de file des républicains et des démocrates des deux chambres, Benyamin Nétanyahou a réussi une prouesse : briser le consensus bipartisan sur sa personne et sur la guerre qu’il mène contre la population gazaouie.
Les près de 40 000 Palestinien·nes tué·es, les massacres répétés, la situation humanitaire désastreuse, son alliance politique et idéologique avec l’extrême droite israélienne, sa mauvaise volonté à accepter le plan Biden de sortie de crise, voilà autant de raisons qui ont éloigné nombre de démocrates du gouvernement israélien, sinon d’Israël lui-même.
« Benyamin Nétanyahou est le pire dirigeant de l’histoire juive depuis le roi maccabéen qui a invité les Romains à entrer à Jérusalem il y a plus de 2 100 ans », a cinglé le représentant démocrate de New York Jerrold Nadler avant le discours du premier ministre israélien.
Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants, a donné dans la même veine, qualifiant l’adresse de « pire présentation de tout dignitaire étranger invité et honoré du privilège de s’adresser au Congrès ».
L’élue de Californie fait partie des dizaines de représentant·es, surtout des démocrates, qui ont choisi de ne pas assister au discours de Benyamin Nétanyahou.
Kamala Harris elle-même a séché la cérémonie, prétextant un déplacement dans l’Indiana. La vice-présidente est pourtant aussi présidente du Sénat. Son geste est d’autant plus remarqué qu’elle est devenue la candidate putative des démocrates pour l’élection présidentielle.
« Elle ne peut pas ouvertement boycotter car elle doit loyauté au président Biden, analyse Stephen Zunes. Mais elle signifie ainsi qu’elle n’est pas sur une ligne aussi intransigeante dans son soutien à Israël que Biden. »
Et puis elle doit, déjà, penser à sa campagne électorale. « La politique israélienne de l’administration Biden est très controversée, non seulement chez les Arabes états-uniens, mais plus généralement chez les jeunes de gauche, reprend le professeur de l’université de San Francisco. Aucune autre question, qu’il s’agisse de politique intérieure ou étrangère, ne suscite autant d’opposition entre les électeurs démocrates ordinaires et les membres de l’establishment de l’administration et du Congrès. Ces derniers, majoritairement âgés et blancs, gardent la vision d’un Israël des kibboutz, seule démocratie au milieu de régimes autoritaires arabes. Les jeunes, eux, ne voient qu’un pays gouverné par l’extrême droite, chauvin et raciste. Pour eux, le sionisme n’est pas une idéologie émancipatrice mais une pensée coloniale. »
Ces jeunes-là, le Parti démocrate devra en tenir compte d’une manière ou d’une autre car ils sont indispensables à la réussite d’une campagne électorale.
Benyamin Nétanyahou doit rencontrer en tête à tête jeudi et vendredi Joe Biden, Kamala Harris et Donald Trump. Il obtiendra assurément des soutiens pour Israël et des preuves d’amitié. Mais même Donald Trump l’a lâché, appelant à une fin rapide de la guerre contre Gaza et ajoutant qu’Israël devait mieux gérer ses « relations publiques ».
Finalement, il n’est pas certain que le premier ministre israélien soit tout à fait heureux de sa séquence états-unienne, et notamment de son discours devant le Congrès.

Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 25 juillet 2024

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