Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, devant le Congrès américain, à Washington, le 4 juillet 2024. CRAIG HUDSON / REUTERS |
Benyamin Nétanyahou était venu chercher à Washington une audience dont il ne peut plus rêver dans son propre pays, comme dans bien d’autres. Il fait en effet l’objet d’une demande de mandat d’arrêt du procureur de la Cour pénale internationale de La Haye pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Devant les deux chambres du Congrès des Etats-Unis, réunies pour l’entendre, mercredi 24 juillet, le premier ministre israélien a trouvé, principalement sur les bancs républicains, un public qui s’est levé et relevé pour lui durant 52 minutes, prêt à lui offrir près de cinquante ovations.
Ces applaudissements, qui appartiennent à un rituel, n’ont cependant pas masqué les absences nombreuses dans les rangs démocrates à commencer par celle de la vice-présidente, Kamala Harris, également présidente du Sénat et opportunément en déplacement dans l’Indiana. Sa remplaçante immédiate selon le protocole, la sénatrice démocrate de l’Etat de Washington, Patty Murray, en tant que doyenne, s’était également faite porter pâle. Ces absences étaient la traduction de l’exaspération suscitée par la conduite de la guerre particulièrement sanglante d’Israël à Gaza après les massacres de civils israéliens perpétrés par le Hamas palestinien, le 7 octobre 2023. La veille, le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders avait évoqué « une journée unique ». « Ce sera la première fois dans l’histoire américaine qu’un criminel de guerre aura [l’]honneur » de s’exprimer devant le Congrès, avait-il grincé.
Face aux élus américains, Benyamin Nétanyahou a tenu un discours attendu en présentant cette guerre comme « existentielle » pour l’Etat hébreu et en réduisant le conflit israélo-palestinien à un élément d’un combat plus large contre un « axe de la terreur de l’Iran » qui « défie les Etats-Unis, Israël et nos amis arabes ». Il a assuré que son pays est « en première ligne » de ce combat, qui n’est pas selon lui « un choc des civilisations », mais « un choc entre la barbarie et la civilisation », « entre ceux qui glorifient la mort et ceux qui sanctifient la vie ». « Donnez-nous les outils plus rapidement, et nous finirons le travail plus vite », a ajouté le premier ministre, en quête d’une nouvelle aide militaire américaine.
Ce faisant, Benyamin Nétanyahou ne laissait aucune place à la moindre critique, niant tout autant un usage disproportionné de la force que la responsabilité d’Israël dans la situation humanitaire effroyable dans laquelle se trouvent les Palestiniens de Gaza.
Cette présentation lui a permis également de dénigrer les manifestants qui s’étaient rassemblés sous haute surveillance policière dans la capitale fédérale – dont des parents d’otages israéliens capturés le 7 octobre 2023 – pour dénoncer les massacres de civils produits par des bombardements israéliens depuis dix mois avec des armes en provenance des Etats-Unis. « Vous devriez avoir honte. (…) Vous êtes devenus officiellement les idiots utiles de l’Iran », a-t-il assuré en insinuant que la République islamique manipulait les mouvements de protestation apparus dans tout le pays, notamment dans des universités.
Profondes divergences avec les démocrates
« Pour que les forces de la civilisation triomphent, l’Amérique et Israël doivent rester unis », a assuré M. Nétanyahou. Les frictions ne cessent pourtant de l’opposer à l’administration américaine à propos d’un cessez-le-feu combiné à des libérations d’otages souhaité depuis des mois par les Etats-Unis. Il en va de même avec l’incapacité du premier ministre, une fois l’offensive israélienne en cours achevée, à formuler une vision pour Gaza compatible avec les lignes rouges tracées dès novembre 2023 par le président démocrate, Joe Biden.
Cette divergence s’est à nouveau manifestée devant le Congrès lorsque Benyamin Nétanyahou a assuré que « dans un avenir proche », Israël devra « maintenir [dans Gaza] un contrôle sécuritaire prépondérant afin d’empêcher la résurgence de la violence et de faire en sorte que [l’enclave] ne constitue plus jamais une menace pour Israël ». Il a appelé de ses vœux une « Alliance d’Abraham » militaire avec les Etats arabes « modérés » contre l’Iran, sans un mot pour l’avènement d’un Etat palestinien qu’il exclue désormais ouvertement, mais dont un tel rapprochement dépend.
De tous les responsables israéliens, Benyamin Nétanyahou est certainement celui dont la carrière a été la plus intimement imbriquée dans la politique américaine. Il restera pourtant comme celui qui aura abîmé ce qui fut longtemps un atout : un solide consensus entre les deux grands partis des Etats-Unis permettant de surmonter les alternances et les aléas propres au Proche-Orient comme sa réception ambivalente au Congrès l’a confirmé.
L’ancienne speaker (présidente) démocrate de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui avait elle aussi boycotté la séance, n’a pas mâché ses mots. Elle a qualifié le discours du premier ministre israélien de « pire présentation de tout dignitaire étranger invité et honoré du privilège de s’adresser au Congrès ».
L’élue de Californie a la mémoire longue. Toujours invité au Congrès à l’initiative de républicains, Benyamin Nétanyahou y a systématiquement exprimé sa défiance face à des présidents démocrates avec lesquels il entretenait de réelles divergences politiques. Son discours est ainsi intervenu neuf ans après une allocution solennelle au cours de laquelle il s’en était pris avec virulence à l’accord sur le nucléaire iranien difficilement négocié par le président démocrate d’alors, Barack Obama.
La rancune de Donald Trump
En Israël, le temps politique s’était suspendu à ce discours, dont la presse a relaté l’élaboration au fil de la semaine. Un cessez-le-feu à Gaza, une opération militaire au Liban : rien ne semblait plus possible avant cette visite, et tout demeurait ouvert dès le lendemain. Les négociateurs qui s’échinent depuis des semaines à obtenir la libération des otages contre une trêve n’avaient ainsi été autorisés à repartir pour Le Caire que le lendemain.
Cette dramaturgie avait été soigneusement mise en scène. M. Nétanyahou avait rappelé qu’il s’exprimerait pour la quatrième fois devant les deux chambres réunies du Congrès, plus qu’aucun dignitaire étranger avant lui dans l’histoire. Le premier ministre israélien s’est cependant heurté à Washington à un événement inattendu : le renoncement de Joe Biden à briguer un second mandat qui a éclipsé sa visite, amoindri l’écho de son intervention comme les attentes fort diverses qu’elle suscitait.
Les deux hommes devaient se retrouver en tête à tête le lendemain – une invitation que M. Nétanyahou attendait depuis son retour au pouvoir, en décembre 2022. Il devait aussi s’entretenir avec la vice-présidente, Kamala Harris, auréolée de son nouveau statut de candidate démocrate à la présidentielle. Vendredi, il devait encore renouer en Floride avec le candidat républicain à la présidentielle, Donald Trump, qui avait rompu les liens avec lui en 2020, après que son « ami » avait reconnu l’élection de Joe Biden.
Signe d’une rancune persistante, M. Trump a publié en ligne le 22 juillet sa réponse chaleureuse à une lettre du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui déplorait l’attentat dont le républicain a été victime le 13 juillet. En avril, ce dernier avait par ailleurs mis en cause Benyamin Nétanyahou dans l’écroulement des défenses israéliennes face au Hamas, le 7 octobre 2023. « C’est arrivé sous sa responsabilité », avait-il déclaré au magazine Time.
Craintes des colons face aux possibles sanctions américaines
Le 21 juillet, avant d’étrenner avec son épouse, Sarah, le premier avion configuré pour les dirigeants israéliens, Les Ailes de Sion, M. Nétanyahou avait annulé un rendez-vous prévu en Israël avec des représentants du Conseil de Yesha, qui rassemble les collectivités locales des colonies de Cisjordanie. Ces alliés entendaient le presser de faire barrage aux sanctions que l’administration américaine a commencé à adopter contre des colons violents.
De source israélienne, Washington envisage désormais d’étendre ces sanctions à leur navire amiral, la grande entreprise du bâtiment Amana, voire à leurs ministres : celui des finances, Bezalel Smotrich, et celui de la police, Itamar Ben Gvir.
L’Etat hébreu craint que M. Biden s’engage résolument en fin de mandat dans cette politique inédite et encore impensable il y a peu, notamment si Kamala Harris accédait à la Maison Blanche après l’élection du 5 novembre.
Par Gilles Paris et Louis Imbert
Le Monde du 25 juillet 2024
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