L’occasion manquée d’Emmanuel Macron au Proche-Orient

 

Le président de la République Emmanuel Macron avec le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, à Jérusalem le 24 octobre 2023. © Christophe Ena/POOL/AFP
On attendait beaucoup du voyage du président de la République en Israël et en Palestine. Mais l'alignement total de Paris sur Tel-Aviv annihile ses prétentions à initier un nouveau processus, malgré sa rencontre avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
À peine arrivé à l’aéroport de Tel-Aviv, mardi matin, Emmanuel Macron a rencontré des familles de Français ou Franco-Israéliens tués, disparus ou retenus otages dans la bande de Gaza. « Le premier objectif que nous devrions avoir aujourd’hui est la libération de tous les otages, sans aucune distinction », a insisté un peu plus tard le président français à Jérusalem au côté de son homologue israélien, Isaac Herzog.
Mais ce sont ses entrevues avec le premier ministre, Benyamin Netanyahou, puis avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui ont fait l’objet de toutes les attentions. Premier chef d’État occidental à rencontrer le responsable palestinien depuis l’attaque perpétrée le 7 octobre par le Hamas, on pouvait penser qu’Emmanuel Macron serait porteur d’une initiative originale propre à faire cesser le massacre dans la bande de Gaza et relancer un processus de négociations aujourd’hui inexistant.

Une comparaison hasardeuse entre le Hamas et Daech
Son entourage avait d’ailleurs laissé entendre, la veille, que le président aborderait la question d’une trêve humanitaire, prélude à des discussions politiques en vue d’un cessez-le-feu. Tout semblait indiquer une action forte de la France signant ainsi le retour d’une politique indépendante dans cette région du monde.
À l’issue de la rencontre entre Emmanuel Macron et Benyamin Netanyahou, il a fallu se rendre à l’évidence. S’il est venu « exprimer au peuple israélien toutes les condoléances de la France », il a enchaîné sur « le droit légitime d’Israël de se défendre » et a poursuivi en faisant un parallèle entre le Hamas et l’organisation de l’« État islamique » (EI, Daech).
Netanyahou s’est immédiatement engouffré dans la brèche, en évoquant les attentats qui avaient ensanglanté la France. « Vous avez refusé de tolérer cette menace, a-t-il lancé. Et le peuple d’Israël refuse d’avoir Daech dans une enclave terroriste à sa frontière. » Si l’argumentaire n’est pas surprenant de la part du premier ministre israélien, il est étonnant dans la bouche du président français. Le Hamas n’est pas Daech, malgré le caractère terroriste de l’attaque du 7 octobre.
Emmanuel Macron peut bien affirmer que le Hamas « ne porte pas la cause palestinienne. Il doit être combattu avec force. Et la cause palestinienne, elle, doit être entendue avec raison ». La perception des Palestiniens est tout autre. Selon un sondage du Washington Institute au mois de juillet, 57 % des habitants de Gaza avaient une opinion « plutôt positive » du Hamas.
Nathan French, professeur agrégé en religion comparée à l’université de Miami, explique dans The Conversation : « Les sondages réalisés auprès des habitants de Gaza de 2007 à 2023 sont révélateurs. Ils montrent clairement que le soutien des Gazaouis à la résistance armée s’est accru parallèlement à une hausse de la frustration, de la colère et du désespoir devant l’absence de solution politique à leurs souffrances. »
Une dimension qu’Emmanuel Macron, emporté par son soutien à Israël, ne prend pas en compte et l’amène à proposer un processus en contradiction avec son objectif affiché d’une stabilité de la région et d’une solution à deux États. Il est allé jusqu’à affirmer : « la France est prête à ce que la coalition internationale contre Daech, dans le cadre de laquelle nous sommes engagés pour notre opération en Irak et en Syrie, puisse lutter aussi contre le Hamas. »
La coalition internationale irait donc bombarder les installations du Hamas à Gaza ? L’entourage du chef de l’État a expliqué que la France était disposée à « renforcer ce que nous faisons dans le cadre de la coalition contre l’EI ». Et d’ajouter : « Nous sommes disposés à bâtir une coalition contre le Hamas ou à inclure le Hamas dans le travail que nous faisons déjà dans la coalition contre l’EI, sur la base de ce qu’Israël nous demandera. » Une proposition particulièrement dangereuse pour la région.
Si Tel-Aviv souhaite l’assassinat des leaders du Hamas actuellement au Qatar, la coalition ira-t-elle frapper Doha ? « Nous voulons démanteler complètement le Hamas, ses dirigeants, sa branche militaire et ses mécanismes de fonctionnement », a déclaré le chef d’état-major israélien, Herzi Halevi, entouré de plusieurs hommes en armes, dans une vidéo postée sur X (anciennement Twitter) par l’armée israélienne dans la nuit de lundi à mardi, quelques heures avant l’arrivée d’Emmanuel Macron, et alors que les bombardements sur Gaza ont redoublé d’intensité, le nombre de morts palestiniens dépassant maintenant les 5 700, selon les autorités de l’enclave palestinienne.
Comment la France pourrait-elle évoquer un cessez-le-feu avec une organisation dont elle proclame vouloir la destruction ? Contradiction encore : alors qu’Israël prépare une possible offensive terrestre à Gaza avec l’objectif de « détruire » le Hamas, Paris estime « qu’une telle opération serait très difficile à mener dans le respect » du « droit international », selon un conseiller du président.

Les colonies et l’occupation passées sous silence
Timoré face à Benyamin Netanyahou, Emmanuel Macron a attiré « l’attention de chacun sur les actes de quelques-uns à l’égard de civils palestiniens dont la violence menace de propager le feu à la Cisjordanie aussi ». Mais s’est trouvé incapable de citer nommément les colons, ce qui en dit long sur les volontés françaises au Proche-Orient de faire cesser la colonisation et l’occupation israéliennes. Il n’a d’ailleurs même pas prononcé le mot « occupation ».
À Ramallah, après presque deux heures d’entretien avec Emmanuel Macron, le président palestinien a évoqué les 6 000 Palestiniens tués, dénoncé l’attitude israélienne qui a « torpillé la solution à deux États en la remplaçant par l’occupation, le nettoyage ethnique et l’apartheid », ainsi que les exactions des colons en Cisjordanie. Outre un cessez-le-feu total et la création d’un corridor humanitaire, Mahmoud Abbas a également demandé une protection internationale pour le peuple palestinien.
Emmanuel Macron a encore eu cette formule : « trouver le chemin pour lutter contre les groupes terroristes y compris le Hamas », en évoquant, une fois de plus, la coalition contre Daech mais « sans menacer les populations civiles ». Les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, sous occupation depuis cinquante-six ans, qui comptaient sur la France, n’apprécieront sans doute pas.

L'Humanité du 24 octobre 2023

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