Israel-Hamas, attentats... La grande « trumpisation » du débat public

 

Gérald Darmanin et la droite surenchérissent dans la stigmatisation. © Ludovic MARIN / AFP
Le conflit israélo-palestinien et la résurgence du terrorisme islamiste en Europe sont propice à toutes les outrances. Ministres, élus et intellectuels n’hésitent plus à raconter n’importe quoi.
Donald Trump a peut-être perdu en 2020 l’élection américaine, il perdra peut-être la suivante, mais son style, lui, a bien gagné les esprits, jusqu’en Europe. En France, les commentaires sur le conflit israélo-palestinien et le retour des attentats islamistes sur le sol européen, après Arras et Bruxelles, vire à la foire aux outrances et aux approximations. Proférées par ceux-là même dont on serait en droit d’attendre de la hauteur : les élus, les ministres, les intellectuels.
Carburant à l’émotionnel et au sensationnel, la machine politico-médiatique s’emballe, devient folle, cherche des coupables, des boucs émissaires improbables pour se défouler. On s’attaque à ceux qui n’ont pas condamné le Hamas, à ceux qui ne le condamnent pas assez, et même à ceux qui le condamnent mais condamnent aussi la colonisation israélienne – toute nuance est proscrite.
Karim Benzema en a fait les frais. Pour avoir adressé « toutes ses prières » aux victimes gazaouies des bombardements, l’ancien attaquant des Bleus est la cible d’une hallucinante campagne de dénigrement. À la manœuvre, rien de moins que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. « Karim Benzema est en lien, on le sait tous, notoire avec les Frères musulmans », a-t-il déclaré sur CNews. Même Pascal Praud n’en a pas cru ses yeux. Il n’en fallait pas moins pour que la sénatrice « Les Républicains » Valérie Boyer réclame carrément « la déchéance de nationalité » du footballeur et même « qu’on lui retire son ballon d’or » – comme si c’était une prérogative de l’État. Nadine Morano, elle, accuse directement le footballeur d’être un « agent de propagande du Hamas ».
L’avocat de Benzema a annoncé entamer des poursuites judiciaires. Le cabinet de Gérald Darmanin se contorsionne, quant à lui, pour donner de la substance aux propos du ministre : « Le joueur refusait de chanter la Marseillaise », avance-t-il (Michel Platini ne la chantait pas plus), et « fait du prosélytisme musulman sur les réseaux sociaux ». Affirmer sa religion, c’est soutenir un mouvement terroriste ?

Mbappé et Omar Sy aussi accusés
En matière de chasse aux sorcières, le sénateur LR Stéphane Le Rudulier n’est pas en reste. Lui n’en veut pas qu’à ceux qui disent leur soutien aux victimes palestiniennes, mais aussi à ceux qui ne disent rien. « Ceux qui souvent défendent des délinquants restent muets, à vomir », écrit le sénateur en ciblant Kylian Mbappé et Omar Sy, qui avaient pris position après la mort de Nahel à Nanterre. L’élu de droite a également écrit une lettre à la première ministre pour demander la dissolution de la France insoumise, coupable à ses yeux « d’apologie du terrorisme ». Critiquer le gouvernement israélien, ce serait se tenir aux côtés du Hamas et des antisémites. Ce serait même haïr la police, selon Gérald Darmanin, pour qui « la haine du juif et la haine du flic se rejoignent », dans une tentative confusionniste de mener le procès intégral de la gauche, doublement coupable de dénoncer les violences policières et le sort des Palestiniens.
Le ministre de l’Intérieur sent bien que la période lui est favorable, alors que le projet de loi immigration qu’il doit porter est encore en cours d’élaboration. Le terrorisme n’a pas frappé que le sud d’Israël, mais aussi Arras et Bruxelles. Ces funestes actualités se télescopent pour donner le pire. Le style outrancier, démagogue, de Darmanin peut seoir à un moment où une partie de l’opinion attend des réponses simplistes à une situation complexe. Sur l’attentat d’Arras, il se lamente de « ne pas pouvoir expulser les étrangers délinquants », et souhaite l’expulsion de tous les étrangers fichés S. Ce qui dénote une méconnaissance totale du principe de la fiche S, qui n’est qu’un indicateur pour les renseignements, et ne présume pas de la dangerosité d’un individu. Souvent l’entourage du fiché S l’est aussi, pour étendre la surveillance : faudrait-il renvoyer tout le monde ?

Fake news sur les expulsions
Dans les pages du Figaro, l’essayiste ultralibérale Agnès Verdier-Molinié réclame, elle, « qu’on arrête de financer ceux qui nous empêchent d’expulser des terroristes ». Dans son viseur : des associations d’entraide aux réfugiés touchant des subventions publiques comme la Cimade, le Mrap ou RESF. La droite les rend à demi-mot responsables de la mort de Dominique Bernard au prétexte qu’en 2014 plusieurs collectifs s’étaient opposés à l’expulsion de la famille de Mohammed Mogouchkov, le tueur d’Arras. À l’époque, il s’agissait d’un enfant de 11 ans…
Contrairement à la fake news entretenue par la droite, il était, depuis sa majorité, tout à fait expulsable en l’état actuel de la loi. La vérité, la nuance importent peu aux petits dealers du tout-sécuritaire qui pullulent dans les médias. Il faut être le premier à commenter, celui qui le fera le plus fort, celui qui fera le plus réagir sur les réseaux sociaux. Comme si le débat obéissait à ses propres règles et s’autonomisait du réel.

L'Humanité du 19 octobre 2023

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