Les chrétiens palestiniens manifestent en solidarité de leurs frères de Gaza, le 23 octobre, à Jifna dans le nord de la Cisjordanie. © Jaafar Ashtiyeh/AFP |
Dans les rues désertes de la Vieille Ville de Jérusalem, le temps semble comme suspendu. Les boutiques du souk, toujours ouvertes, guettent les rares touristes encore présents. Mais, dans le quartier chrétien, le long de la Via Dolorosa ou dans la basilique du Saint-Sépulcre d’habitude noire de monde, il n’y a personne pour visiter ou se recueillir, et l’on ne croise dans les ruelles pavées que quelques religieuses qui pressent le pas.
Depuis le début de ce que tout le monde nomme ici « la guerre du 7 octobre », la communauté chrétienne, répartie principalement entre patriarcats latin catholique, orthodoxe et arménien, tente de délivrer un message de paix en comptant les morts.
6 % du total des Palestiniens
Les chrétiens représentent « environ 6 % du total des Palestiniens », qu’ils vivent en Israël, à Gaza ou dans les territoires occupés, indique Hassan (*), lui-même Palestinien et chrétien de Cisjordanie, qui précise : « Nous sommes d’abord palestiniens : pour le gouvernement israélien, c’est la même chose. Nous vivons les mêmes choses, les mêmes checkpoints, les mêmes discriminations. » C’est dans la bande de Gaza, comme tous les Palestiniens, que les chrétiens sont aujourd’hui le plus en danger.
Dans la nuit du 19 octobre, un bombardement israélien a détruit un bâtiment de la paroisse grecque-orthodoxe de Gaza, tuant 18 personnes. Le patriarche orthodoxe de Jérusalem, Théophile III, a vivement condamné un « crime de guerre », rappelant que les églises de Gaza ont pour mission de « protéger les citoyens innocents (…) qui ont perdu leurs maisons à la suite des frappes aériennes », et dénonçant un « ciblage évident des infrastructures et des abris du patriarcat orthodoxe et d’autres Églises ».
La veille, le 18 octobre, les treize patriarches de Jérusalem s’étaient réunis pour tenir ensemble une conférence de presse, au lendemain de l’attaque sur l’hôpital al-Ahli de Gaza et dénoncer « un massacre effroyable et dévastateur », par la voix de l’archevêque anglican Hosam Naoum. Car l’établissement de santé, aussi nommé « hôpital baptiste », dépend directement de l’Église anglicane. « Nous considérons cela comme un crime de guerre et appelons toutes les parties à mettre fin à cette guerre », a insisté Hosam Naoum.
Quant à la polémique sur la responsabilité de l’attaque, le patriarche l’a simplement évacuée : « Nous ne sommes pas des experts militaires. » Mais de préciser qu’il avait reçu des autorités israéliennes « trois ordres d’évacuer l’hôpital, samedi, dimanche et lundi. L’hôpital a été bombardé mardi ».
Pour Itamar Ben Gvir, « cracher sur des chrétiens n’est pas un acte criminel »
Dans l’histoire récente entre Israël et la Palestine, les chrétiens tiennent une place particulière : présents dans quasiment toute la Cisjordanie, de Bethléem à Jénine en passant par Taybeh, ils sont aussi nombreux dans les villes mixtes israéliennes : Haïfa, Saint-Jean-d’Acre, et bien sûr Jérusalem, notamment dans la partie Est occupée. « Nous ne sommes pas nombreux, mais nous avons des relations particulières avec le monde entier, et notamment l’Europe », analyse Hassan. Pour lui, « la position des Églises est très claire : elle a toujours été de dénoncer l’occupation ».
Si Hassan préfère taire son identité, c’est que la période est dangereuse pour quelqu’un comme lui, à la fois palestinien et chrétien. Le climat imposé par les extrémistes juifs, dont les dirigeants sont aujourd’hui au gouvernement, est délétère. Le 4 octobre, à la suite de l’arrestation de cinq ultra-orthodoxes juifs accusés d’avoir craché sur des fidèles chrétiens dans la Vieille Ville de Jérusalem, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, avait déclaré : « Je continue de penser que cracher sur des chrétiens n’est pas un acte criminel. »
En janvier dernier, un restaurant du quartier chrétien avait été attaqué par un groupe d’un mouvement radical lié au parti de Ben Gvir, Otzma Yehudit (Force juive). Dans les deux cas, la position officielle du gouvernement israélien avait toutefois été de dénoncer les attaques. Fadi (*), un Palestinien musulman de Jérusalem-Est, pense que « quand ces extrémistes juifs auront viré les musulmans, ce sera au tour des chrétiens. Nous sommes liés ».
Un autre élément entre en compte : la propriété foncière. Comme toutes les terres palestiniennes, qui sont dans le viseur des politiques de colonisation menées par l’État israélien, « on subit la même chose : ils voudraient tout Jérusalem, y compris les terres qui appartiennent aux Églises », conclut Hassan.
En 2022, après une bataille juridique de dix-huit années, des colons armés avaient pris possession du petit hôtel Petra de Jérusalem, face à la porte de Jaffa. Un scandale qui avait valu au patriarche orthodoxe de l’époque, accusé de corruption dans l’affaire, d’être démis de ses fonctions.
L'Humanité du 24 octobre 2023
(*) Les prénoms ont été modifiés.
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