Lors du rassemblement pour la Palestine à Paris le 22 octobre 2023. © Photo Laure Boyer / Hans Lucas via AFP |
"Si vous laissez votre mail, c’est pour vous engager ! Mais allez-y, prenez des flyers pour diffuser dans vos quartiers », lance à la cantonade une militante de l’association EuroPalestine, sweat vert floqué des mots « Israël, Apartheid, Boycott » dans le dos.
Feryel, élève de terminale dans le Val-de-Marne, se décide à donner ses coordonnées au mouvement pro-palestinien et colle un petit carré jaune « Free Palestine » sur son manteau. Le même genre d’autocollants a recouvert les murs des toilettes de son lycée et, depuis le 7 octobre, le conflit au Proche-Orient est devenu un sujet en soi dans la cour de récréation. « On s’identifie beaucoup aux Palestiniens, peut-être parce qu’on est nombreux à être issus de l’immigration ou parce qu’on a la même religion. Mais les conversations entre nous, y compris avec des élèves juifs, ne sont pas tendues… En vrai, tout le monde est révolté, et tout le monde veut la paix », assure la jeune fille sous ses cheveux bruns.
Un cessez-le-feu immédiat à Gaza. C’est ce que sont venus réclamés, dimanche 22 octobre, les milliers de personnes rassemblées – 15 000, d’après la police, et 30 000, d’après La France insoumise (LFI) – pour la première manifestation parisienne n’ayant pas été frappée d’interdiction depuis les attentats terroristes du Hamas. Sous le regard impassible de la Marianne de bronze qui surplombe la place de la République, défilent les pancartes « Israël assassin, Biden et Macron complices ! », « Halte au massacre à Gaza » ou « Nous sommes tous des Palestiniens ». À côté des drapeaux palestiniens, algériens, turcs ou libanais, flottent aussi ceux du NPA, de La France insoumise, d’Europe Écologie-Les Verts, de la CGT ou de Solidaires.
Tout l’après-midi, des figures politiques et associatives ont défilé sur un petit camion pour dire tout le mal qu’elles pensent des représailles israéliennes sur la bande de Gaza. Quand Bertrand Heilbronn, président de l’association France Palestine Solidarité, dénonce la « guerre monstrueuse d’élimination du peuple palestinien », Hala Abou Hassira, ambassadrice de Palestine en France, fustige au micro « l’État terroriste d’Israël » qui « prend le prétexte de l’autodéfense » pour mener « un génocide sous les yeux du monde ».
Très applaudi, Gabriel, porte-parle de l’Union juive française pour la paix (UJFP), association juive antisioniste, a des mots à peine moins durs contre l’armée israélienne « qui commet un massacre à Gaza ». En France, il enrage contre « l’instrumentalisation de l’émotion légitime » par un camp présidentiel qui a apporté un « soutien inconditionnel » à l’État hébreu. « En interdisant la solidarité avec le peuple palestinien au nom de l’antisémitisme, le gouvernement nous met une cible dans le dos », lance-t-il sous quelques « bravo ! » qui s’évaporent au-dessus de la foule.
Côté syndical, on prend soin de rappeler que « toutes les vies se valent » et on dénonce haut et fort les « crimes de guerre » de part et d’autre. « Deux semaines après les actes de terreur, le bain de sang [à Gaza – ndlr] doit être absolument évité », insiste Céline Verzeletti, membre du bureau international de la CGT. Précisant que la confédération apporte son soutien total aux familles endeuillées, qu’elles soient palestiniennes ou israéliennes, elle rappelle aussi son « opposition à toutes les formes de colonisation et de domination impérialiste » et les revendications de la centrale syndicale : la libération des otages, un cessez-le feu, le démantèlement des colonies et l’arrêt du blocus à Gaza.
Côté politique, la colère gronde contre « la lâcheté coupable du président Macron qui ferme les yeux sur les crimes de guerre israéliens », clame Aurélie Trouvé, députée La France insoumise, sous les applaudissements.
Un appel au respect du droit international
« Aujourd’hui, notre gouvernement nous demande de soutenir inconditionnellement Israël, donc le massacre de milliers d’habitants de Gaza, mais aussi les colons qui font du nettoyage ethnique en Cisjordanie », poursuit, juchée sur le camion, Pauline Salingue, du NPA, quand la sénatrice écologiste, Raymonde Poncet, appelle la communauté internationale à « faire enfin respecter le droit international, au gouvernement suprémaciste d’extrême droite » de Nétanyahou.
Place de la République, l’incompréhension se mêle à la colère et à l’émotion. Tous ces enfants tués, côté palestinien et côté israélien : « De la lâcheté pure, des deux côtés », dit Widete, dont le prénom signifie « amitié et affection » en tunisien. « Les Arabes et les juifs, on vit ensemble depuis toujours, Ismaël et Israël sont cousins ! », ajoute Nawel, qui organise des défilés de mode algérienne à Paris et s’est rendue à la manifestation du jour dans l’espoir de « faire changer l’opinion internationale ».
Mais autant elle a « vu la paix avec [Yitzhak] Rabin », autant Nétanyahou, « sioniste et extrémiste », ne lui inspire qu’une peur vivace. Aussi cette « militante silencieuse » depuis des années espère-t-elle aujourd’hui, sans trop d’illusions, que, « comme pour l’Ukraine », la communauté internationale finira par venir au secours du peuple palestinien. « Vous savez, il ne faut pas les laisser seuls, ajoute-t-elle. S’il y a des terroristes [le Hamas – ndlr], c’est parce que les gens meurent. Mais en même temps, qui va s’occuper des Palestiniens si on éradique le Hamas ? »
Dénonciation de l’abandon politique, mais aussi médiatique. Avec cette impression tenace, dans les rangs des manifestants, que les journaux couvrent uniquement l’actualité du camp israélien. « Soit c’est un déni, soit on veut nous cacher les choses, mais je ne comprends pas pourquoi je suis obligée d’aller sur Al Jazeera, sur les médias américains, ou sur YouTube pour savoir ce qu’il se passe à Gaza », observe Yamina, Parisienne d’origine marocaine, qui a, depuis quinze jours, « une révolte dans le cœur ».
Même sensation chez Kamel, venu avec femme et enfants des Yvelines. Sur son portable, il fait défiler les images de morgues et de bébés morts. Une partie de sa famille – sa fille, ses trois petits-enfants et son père, tous ressortissants français – est « là-bas, sous les bombes ». Des jours qu’il vit la peur au ventre, mais il a beau avoir contacté ambassade, ministère, députés – bref, « tout le monde sauf Macron » –, aucune réponse. Et finalement, la conviction « qu’il n’y a pas de justice ». « Israël vise les enfants et les femmes pour nous exterminer, mais les journalistes n’en parlent pas en France », martèle-t-il derrière ses lunettes de soleil et son keffieh blanc et noir, persuadé que, contrairement à ce que disent les médias, « il n’y a eu que des morts militaires en Israël ».
Il faut dire que l’impression de déséquilibre de traitement entre les deux peuples a été renforcée par les multiples interdictions de manifester prononcées ces dernières semaines sous l’égide du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, plusieurs fois hué durant l’après-midi. Comme lorsque Arnaud Malaisé, de la FSU, dénonce au micro « ce pays, la France, le seul au monde où le gouvernement réprime les mouvements de solidarité avec le peuple palestinien » et réclame « la fin des fausses accusations d’apologie du terrorisme ».
Dans les rangs des manifestants, on s’interroge aussi sur la voix de la France. Ou plutôt, sur son mutisme. La patrie des droits de l'homme qui a rendu si fière Nawel quand elle est arrivée en France, « où est-elle maintenant ? », s’interroge-t-elle. « La France soutient juste Israël, pas la Palestine », déplore quant à elle Amira, sous le regard de ses deux enfants, âgés de 10 et 17 ans, venus « soutenir la Palestine puisque tous les pays ne font rien pour lui venir en aide », précise l’adolescent.
À 81 ans, cela fait six décennies que Jeannine, enseignante du supérieur retraitée, autocollant CGT à la boutonnière, milite pour la liberté du peuple palestinien. Elle avoue être « très déprimée ». Au sein de la gauche, il n’y a que Jean-Luc Mélenchon, qui n’est pourtant pas sa tasse de thé d’ordinaire, à avoir été « un peu à la hauteur. Pour le reste, tout le monde a oublié la cause palestinienne ».
Preuve en est, juge-t-elle, « le mot “colonisation” n’apparaît même pas dans le tract de la CGT appelant à la manif ». Et de noter que, place de la République, ce dimanche, on était loin des 100 000 manifestants ayant défilé, la veille, à Londres.
Pauline Graulle
Médiapart du 22 octobre 2023
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