La maire communiste de Mitry-Mory, en Seine-et-Marne, a pris la présidence de l’Association pour le jumelage entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (AJPF) en janvier. Charlotte Blandiot-Faride revient sur l’engagement de l’association auprès du peuple palestinien et interpelle directement le gouvernement français sur la situation.
Chaque année, l’AJPF (Association pour le jumelage entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises) organise le déplacement de délégations d’élus en Palestine et dans les camps de réfugiés, en Cisjordanie et au Liban. En quoi est-ce essentiel ?
Il n’y a pas meilleure façon de se rendre compte de la situation que d’y aller. Constater ce que subissent chaque jour les Palestiniens, ce que perpètrent une armée et un gouvernement colonial. L’AJPF s’est constituée, en complémentarité de beaucoup d’autres associations qui luttent pour les droits du peuple palestinien, avec une certitude : les liens tissés entre les peuples peuvent faire gagner la paix.
Alors que la question palestinienne a été reléguée au second rang des priorités internationales, que les médias dominants parlent peu et mal de ce conflit, envoyer sur place des élus de la République – mais pas que – permet de constater l’oppression, le mépris, la haine même qui s’abattent sur ce peuple dans le silence assourdissant de la communauté internationale, qui condamne, certes, de temps en temps, les actes du gouvernement et de l’armée israélienne, mais sans jamais prononcer de sanctions.
Pourtant, on l’a vu avec la guerre en Ukraine, elle a les moyens d’agir. En parallèle, lors de ces délégations, l’AJPF s’oblige à travailler avec un panel de partenaires locaux, responsables politiques palestiniens ou personnalités issues de la société civile – y compris israélienne. L’AJPF ne cherche pas à imposer un récit mais à opposer le réel aux préjugés.
Quelles actions menez-vous sur le terrain ?
Le but de notre association est avant tout de créer des réseaux, des liens privilégiés avec les camps de réfugiés palestiniens. Il appartient ensuite à chacun de développer des projets en fonction des besoins, des affinités, des capacités d’investissement. Ce lien de jumelage est d’abord politique. Nous militons pour la reconnaissance de l’État de Palestine et du droit au retour des réfugiés. Mais pas seulement.
Le jumelage ou la coopération décentralisée permettent également des échanges culturels, sportifs ou de solidarité. Soutien scolaire, formation d’animateurs socioculturels, financement de centres de santé, projets d’assainissement ou de traitement des déchets, accueil en vacances de jeunes Palestiniens… le panel d’actions possibles est large.
C’est grâce à cela que, par exemple, des jeunes Palestiniens du camp de Balata (dans les environs de Naplouse, au cœur de la Cisjordanie occupée – NDLR), ont pu, en se rendant à Mauléon (Deux-Sèvres), voir la mer pour la première fois.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation sur place ?
Je suis allée en Palestine pour la première fois il y a dix ans, et j’y suis retournée quatre fois depuis. À tous les niveaux, la situation s’est largement durcie et profondément dégradée, y compris ces derniers mois. Depuis janvier, le nombre d’incursions israéliennes dans les camps et les villages palestiniens a explosé, avec plus de 200 Palestiniens tués en quelques mois à peine.
Il est particulièrement frappant de constater à quel point les colons agissent violemment, encore plus que l’armée parfois. Ils détruisent des maisons, incendient des terres agricoles et des véhicules, assassinent en toute impunité.
En face, le peuple palestinien fait preuve d’une immense résilience, mais, coupé géographiquement de ses voisins et ignoré de la communauté internationale, il ressent aussi une profonde lassitude, un véritable sentiment d’isolement.
En tant qu’élue, quel message adressez-vous au gouvernement français et à l’Union européenne ?
Notre premier devoir est de rendre compte, clairement, de ce que nous avons constaté et vécu sur place. Il est évident qu’à chaque fois que la communauté internationale réagit sur la situation des Palestiniens, la réponse n’est pas à la hauteur du préjudice subi. L’ONU a reconnu à plusieurs reprises que l’État d’Israël bafouait le droit international.
Dans certaines villes palestiniennes, comme Hébron, les soldats, armés jusqu’aux dents, qui ont contrôlé plusieurs fois l’identité des membres de notre délégation et retenu pendant des heures nos accompagnateurs palestiniens sans raison, étaient franco-israéliens. C’est-à-dire que, là-bas, certains de nos compatriotes se sentent tout-puissants.
Il est donc légitime de demander au gouvernement français quelles sanctions peuvent être prises, au regard des actes commis par des militaires ou des colons qui ont la double nationalité. Nous avons posé la question au consul général de France, que nous avons rencontré à Jérusalem. Il ne nous a pas répondu. Pourtant, il est essentiel d’exiger la justice partout et pour tout le monde.
La France a également laissé faire l’État d’Israël dans le dossier de notre compatriote Salah Hamouri, expulsé injustement de son pays. Cette question doit être mise à l’ordre du jour et, en tant qu’élus, nous avons aussi notre rôle à jouer dans nos territoires. J’invite d’ailleurs les collectivités qui le souhaitent à partager le travail que nous menons à l’AJPF et à se rapprocher de notre association. C’est un combat essentiel dans lequel le travail collectif est d’une importance extrême
Marion d’Allard
L'Humanité du 18 juillet 2023
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