Les négociations se poursuivent pour éviter la fermeture définitive du point de passage permettant l’acheminement du soutien humanitaire de l’ONU à la population syrienne.
Le mécanisme d’aide humanitaire transfrontalière de l’Organisation des Nations unies (ONU) vers la Syrie n’a pas pu être renouvelé mardi 11 juillet, faute d’entente du Conseil de sécurité et d’un veto de la Russie. Unique point de passage prévu dans ce mécanisme, qui permet d’acheminer 85 % de l’aide humanitaire aux 2,7 millions de Syriens qui en dépendent dans l’enclave rebelle d’Idlib (nord-ouest du pays), sans autorisation de Damas, le poste-frontière turc de Bab Al-Hawa a été fermé temporairement.
Les négociations se poursuivent néanmoins à New York pour sauver ce mécanisme, plus que jamais en péril : la délégation russe refuse de le renouveler pour plus de six mois et impose des conditions annonciatrices d’une demande de levée de sanctions contre le régime de Bachar Al-Assad – une limite infranchissable pour les trois membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité, Etats-Unis, France et Grande-Bretagne.
« Déçu », Antonio Guterres a appelé « tous les membres du Conseil de sécurité à redoubler d’efforts pour soutenir la poursuite de la distribution d’aide transfrontalière pour des millions de personnes dans le besoin dans le nord-ouest de la Syrie pour le plus longtemps possible », a déclaré son porte-parole Stéphane Dujarric. Cette déception fait écho à celle des membres du Conseil qui plaidaient pour un renouvellement d’un an. « Ce calendrier aurait permis de passer les durs mois d’hiver », a déploré l’ambassadrice suisse Pascale Baeriswyl, l’une des deux coordinatrices des négociations.
Jeu cynique de négociations
Le renouvellement de ce mécanisme, créé en 2014, donne lieu tous les six mois à un jeu cynique de négociations aux Nations unies, dans lesquelles Moscou prend régulièrement l’aide humanitaire transfrontalière et les Syriens qui en dépendent en otages, pour limiter toute distribution non supervisée par Damas. Mais la radicalisation de la position russe, en surenchère par rapport à la position syrienne au cours des tractations diplomatiques ces dernières semaines, semble indiquer que le sujet dépasse désormais ce simple enjeu humanitaire.
Alors que le nord-ouest de la Syrie a été durement touché par deux séismes le 6 février, Martin Griffiths, le chef de l’humanitaire à l’ONU, a plaidé pour un renouvellement du passage de l’aide par Bab Al-Hawa pour un an, afin de permettre à ses services et aux ONG impliquées une meilleure planification des distributions. Damas avait d’ailleurs rouvert, puis renouvelé de son propre chef deux autres points de passages, Bab Al-Salam et Bab Al-Raee – leur prochaine reconduction est programmée pour le 15 août.
Quatre réfugiés sur cinq qui reçoivent l’aide de l’ONU dans cette zone sont des femmes et des enfants. « Ne vous y trompez pas, l’échec du Conseil à réautoriser ce point de passage met en danger des centaines de milliers de vies d’enfants, a dénoncé Kathryn Achilles, directrice de l’ONG Save the Children. Ils ne sauront plus d’où viendra leur prochain repas, alors que leurs parents seront dévastés par l’anxiété à cause des mesures drastiques qu’ils seront forcés à prendre pour nourrir leurs familles. »
« Discussions intenses entre capitales »
Après des jours de négociations menées par le Brésil et la Suisse, les membres du Conseil ont concédé réduire la proposition de renouvellement à neuf mois, contre un an dans la résolution initiale, mais mardi, la Russie y a opposé son propre projet, le limitant à six mois comme c’est le cas depuis 2020. La première a été bloquée par un veto russe – malgré les 13 voix favorables et l’abstention chinoise. Le second n’a pas été adopté à cause de dix abstentions.
Les tractations diplomatiques ont dépassé les couloirs de l’ONU. « Les discussions entre capitales ont été intenses, de nombreux pays qui ne siègent pas au Conseil ont tenté d’interférer en faveur des Syriens », confie un diplomate proche du dossier. Les Emirats arabes unis ont tenté de jouer les intermédiaires entre les rédacteurs de la résolution et la Russie, ces trois derniers jours. Parrain de Damas, qui a fait son retour au sein de la Ligue arabe le 19 mai, Abou Dhabi a plaidé pour la concession des neuf mois de renouvellement avec l’appui des trois membres africains du Conseil.
Ils ont convaincu les autres membres du Conseil, mais n’ont pas réussi à faire fléchir Moscou. Pourtant, la Syrie « montrait des signes d’ouvertures », confie le diplomate proche du dossier. Contrairement à ce qu’elle a affirmé publiquement après le vote, « la Syrie était prête à renouveler pour neuf mois », assure un ambassadeur. Deux autres diplomates ont confirmé un sentiment identique au Monde. D’autant que la résolution prévoyait le maintien de mesures de « relèvement précoce » (« early recovery »), plus proches de la reconstruction que de l’urgence, dans les zones tenues par le régime.
Une tactique récurrente
En y opposant son projet, Moscou aurait non seulement dépassé son rôle d’allié du régime de Bachar Al-Assad, mais aussi radicalisé un peu plus sa position. La Russie a en effet demandé que l’ONU réalise un rapport sur l’impact « des sanctions unilatérales » des Etats-Unis et de l’Union européenne sur l’aide humanitaire – l’équivalent d’un début de remise en question des sanctions – un point de non-retour pour les trois membres permanents occidentaux. « Si notre projet n’est pas soutenu, nous pouvons tout simplement fermer le mécanisme transfrontalier », a assuré Vassily Nebenzia, l’ambassadeur de la Russie.
Richard Gowan, directeur ONU du centre de réflexion International Crisis Group, évoque une tactique récurrente. « Les Russes sont convaincus qu’ils parviendront à dicter les termes du renouvellement », affirme-t-il. D’autres diplomates sont plus pessimistes face à cet ultimatum : pour eux, l’actualité géopolitique pousse le Kremlin à la surenchère. Comme pour l’accord céréalier, signé entre les Nations unies, la Russie et l’Ukraine et dont le renouvellement le 17 juillet semble être compromis par la Russie, le mécanisme transfrontalier pourrait faire les frais de l’humeur de Moscou.
Carrie Nooten
Le Monde du 12 juillet 2023
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