Le projet promis au ministre de la sécurité nationale arrive en conseil des ministres
C’est un contre-feu allumé pour satisfaire un pyromane. Le gouvernement israélien doit examiner, dimanche 2 avril, un plan pour former une « garde nationale », une force de volontaires qu’il envisage de placer directement sous les ordres du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir. Ce suprémaciste juif, qui conserve des liens étroits avec des groupuscules violents, réclame cette force depuis son entrée au cabinet de sécurité, en décembre.
Dimanche, la garde doit être mise sur les rails en conseil des ministres. Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est engagé par écrit, le 27 mars, à accomplir enfin cette promesse, évoquée dès la fin de 2022 dans l’accord de coalition. En échange, M. Ben Gvir et son parti, Otzma Yehudit (six députés sur cent vingt), ont accepté un report d’un mois de la réforme de la justice, qui suscite une levée de boucliers sans précédent à travers le pays.
Dès cette annonce, l’Association pour les droits civiques en Israël s’est inquiétée de voir naître « une milice privée et armée qui serait directement sous le contrôle de Ben Gvir » . De petites manifestations ont eu lieu, mercredi, notamment à Tel-Aviv, pour dénoncer ce projet. Depuis trois mois, Itamar Ben Gvir, agitateur condamné à de multiples reprises, notamment pour incitation à la haine et soutien à une organisation terroriste, en 2007, peine à prendre le contrôle de la police.
Le ministre de la sécurité nationale a autorité sur les budgets et les nominations, mais la conduite des opérations demeure la prérogative du commissaire général du pays, Kobi Shabtai. Depuis janvier, M. Ben Gvir exhorteles policiers à faire preuve de sévérité contre « les anarchistes » qui gangrènent, selon lui, les manifestations contre la réforme de la justice, sans grand succès. Sa garde nationale serait indépendante de la hiérarchie policière, de façon comparable aux gardes du service des prisons. A ces derniers, M. Ben Gvir a demandé, en février, de réduire le temps de douche des prisonniers palestiniens à quatre minutes et de leur interdire de cuire eux-mêmes du pita.
Emplois et formation
Pour mettre cette garde en ordre de marche, M. Ben Gvir dépend pourtant encore de la bonne volonté des chefs de la police et de l’armée. Ils sont censés lui détacher des éléments de la police aux frontières, où servent des conscrits et qui obéit à la hiérarchie militaire, principalement dans les territoires palestiniens et à Jérusalem. Il n’est pas assuré que M. Ben Gvir, sans expérience administrative, puisse mener à bien un tel chantier.
Si la force demeure réduite, elle peut encore offrir emplois et formation à des volontaires, désireux de servir sous le mandat d’un ministre qui a longtemps cornaqué de jeunes militants racistes, et mineurs, et défendu en tant qu’avocat les colons les plus radicaux de Cisjordanie.
Cette garde n’est pas une véritable nouveauté. Le cadre légal qui permet sa création a déjà été posé en juin 2022 par le précédent gouvernement, mené par Naftali Bennett (droite religieuse), sous la houlette d’un ministre de la sécurité publique travailliste (gauche), Omer Bar-Lev. Ils répondaient à une revendication de la droite et de l’extrême droite, après les émeutes intercommunautaires inédites qui ont ensanglanté, en mai 2021, les villes dites « mixtes », juives et arabes, d’Israël, durant onze jours de guerre contre le Hamas à Gaza. Ce gouvernement proposait alors une force composite de volontaires, de réservistes civils et surtout d’officiers d’active, censés encadrer chaque unité.
M. Bar-Lev avait exclu de recruter ces volontaires en faisant appel à une association controversée, vouée à la surveillance de fermes israéliennes, Hashomer Hachadash. Fondée par des militants de gauche, celle-ci entretient des liens avec des mouvements colons et d’extrême droite.
L’armée elle-même a tiré les leçons des événements de mai 2021 : elle compte sur une future garde nationale et sur des bataillons de réservistes pour empêcher de nouveaux blocages de routes, notamment dans le désert israélien du Néguev, et surveiller des sites dits de « frictions » autour des régions arabes du pays. A l’époque, elle s’était trouvée en manque d’effectifs pour faire face à un moment de solidarité jamais vu, liant les Palestiniens d’Israël et des territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza.
Itamar Ben Gvir a modifié le projet de son prédécesseur avec beaucoup d’ambition. Il souhaite, depuis décembre, absorber dans la garde la majorité des effectifs de la police aux frontières, doubler ces effectifs, et leur adjoindre 10 000 volontaires. Cela en dépit de difficultés de recrutement chroniques de la police et de son manque de financement actuel. Le ministre a exprimé, dès janvier, le souhait de rapatrier une partie de la police aux frontières de Cisjordanie vers le Néguev, aux abords de villages bédouins non reconnus par l’Etat. Le chef d’état-major de l’armée a jugé cette proposition irréaliste.
Selon la chaîne publique Kan, qui cite des documents du comité pour la sécurité nationale du Parlement, une première unité de cette garde a déjà été créée à Lod (centre), épicentre des tensions de mai 2021. Il peut s’y appuyer sur un garin torani (littéralement « graine de la Torah »), un noyau de familles juives qui se sont implantées en ville dans les années 1990, après les accords de paix d’Oslo, signés en 1993, afin de « judaïser » la cité. Durant les émeutes de 2021, ces familles avaient hébergé de jeunes gens des colonies de Cisjordanie, parfois armés, venus défendre leurs quartiers. Certains estiment, depuis, nécessaire de mieux se structurer.
Louis Imbert
Le Monde du 03 avril 2023
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