Vingt ans après, l’amer souvenir de la guerre d’Irak

 

Quiconque s’interroge encore sur les raisons du profond scepticisme, sinon de la défiance, qui traverse nombre de sociétés à travers le monde à l’égard des États-Unis et de leurs alliés, gagnerait à se rappeler les traits essentiels de l’une des aventures les plus désastreuses dans lesquelles ceux-ci se soient lancés : la guerre d’Irak, il y a tout juste vingt ans. Pour aller vite, on peut en retenir cinq caractéristiques majeures : les contrevérités ; l’illégalité ; les complicités ; l’irresponsabilité et finalement l’impunité.
Les contrevérités au sujet des buts de guerre de Washington restent dans toutes les mémoires. Des instituts indépendants ont recensé 935 mensonges de toute l’équipe dirigeante des États-Unis !
L’illégalité de cette guerre au regard de la charte des Nations unies fut officiellement confirmée par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. Aucune résolution ne fut soumise au Conseil de sécurité, la France ayant menacé d’user de son droit de veto.
Les complicités avec les agresseurs furent, néanmoins, nombreuses. Le 30 janvier 2003, les dirigeants de huit pays européens – Grande-Bretagne, Danemark, Pologne, Hongrie, République tchèque, Italie, Espagne et Portugal – appellent à l’unité derrière les États-Unis, au nom de nos « valeurs communes ». Le 5 février, c’est au tour de l’Albanie, de la Bulgarie, de la Croatie, des 3 pays Baltes, de la Macédoine, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie (dits « groupe de Vilnius ») de faire allégeance aux États-Unis.  Le 16 mars, un sommet réunit aux Açores, autour de George. W. Bush, l’Anglais Tony Blair, l’Espagnol Aznar et le Portugais Barroso pour annoncer leur engagement dans la guerre contre l’Irak.
L’irresponsabilité de cette invasion se mesure d’abord au nombre de victimes qu’elle aura provoquées : 655 000 morts, selon la revue médicale « The Lancet » (2006), et même plus d’un million, selon l’Institut britannique IIACSS (2007), en sachant que le conflit fit encore de nombreuses victimes les années suivantes. On se rappelle les exactions tant de l’armée américaine (comme à Abou Ghraib) que des 160 000 mercenaires de Blackwater. S’y ajoutent l’exil de 2,5 millions d’Irakiens (chiffre de 2006), l’enlèvement de 10 000 femmes victimes de la traite, selon le Minority Rights Group et, pour toute la population, l’enfer généré par l’implantation progressive d’al-Qaida puis de Daech, les violences endémiques, les luttes d’influence, l’instabilité, la corruption, la pauvreté.
Enfin, l’impunité est, en l’occurrence, un mot faible. Non seulement aucun des fauteurs de guerre ne fut inquiété, mais beaucoup d’entre eux furent récompensés : le très dévoué premier ministre danois, Fogh Rasmussen, qui se qualifia lui-même de « faucon », devint secrétaire général de l’Otan ; le premier ministre portugais, Barroso, initiateur du sommet des Açores, fut nommé président de la Commission européenne ; le fidèle entre les fidèles Tony Blair obtint le titre d’envoyé spécial au Moyen-Orient où il fit de juteuses affaires. Quant à Joe Biden, alors président de la commission des Affaires étrangères du Sénat et « fervent partisan de l’invasion américaine de l’Irak » (Jean-Pierre Filiu), il poursuivit une brillante carrière…

Francis Wurtz
L'Humanité du 18 mars 2023

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