Le ministre des finances de Nétanyahou a qualifié le peuple palestinien d’« invention »
Ce devait être une réunion privée, un hommage à Jacques Kupfer, une figure du judaïsme français, mort en 2021. Finalement, la cérémonie organisée dimanche 19 mars, à Paris, en présence du ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, a viré au meeting d’extrême droite, suscitant des réactions outragées dans plusieurs capitales arabes – mais un silence complet de la part des autorités françaises.
Durant la cérémonie, M. Smotrich, un suprémaciste juif, s’est exprimé derrière un pupitre orné d’une carte englobant non seulement l’Etat hébreu et les territoires occupés palestiniens, mais aussi le territoire de l’actuelle Jordanie : l’espace du Grand Israël, pour les tenants de cette idéologie expansionniste.
Dans son discours, l’homme qui a récemment appelé à « raser » le village palestinien de Huwara, en Cisjordanie, en représailles à l’assassinat de deux colons juifs, a eu des paroles pleines de mépris pour les Palestiniens. « Il n’y a pas de Palestiniens, car il n’y a pas de peuple palestinien , a-t-il déclaré, selon une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux. Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu’ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n’en ont pas. Il n’y a pas de Palestiniens, il y a juste des Arabes. »
Ces propos ont soulevé, lundi 20 mars, un tollé au Moyen-Orient. Le premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, les a jugés « incendiaires » et a estimé qu’ils constituent « une preuve irréfutable du racisme de l’idéologie sioniste extrémiste » du gouvernement israélien dirigé par Benyamin Nétanyahou.
« Une provocation dangereuse »
Le porte-parole du ministère des affaires étrangères jordanien, réagissant à la carte du Grand Israël exhibée lors de la soirée, a condamné « une provocation dangereuse et une violation des normes internationales ainsi que du traité de paix jordanien » . Le Caire a également qualifié les propos de M. Smotrich de « racistes » et d’ « inacceptables » .
Bien qu’annoncée il y a une dizaine de jours, la présence à Paris du champion des sionistes fondamentalistes a créé la surprise. La semaine dernière, à la suite de protestations de mouvements propalestiniens et d’organisations de défense des droits humains, des médias israéliens avaient annoncé que le chef du Parti sioniste religieux, âgé de 43 ans, avait renoncé à ce déplacement.
La soirée s’est déroulée dans les Salons Hoche, un luxueux centre de réception près des Champs-Elysées, pavoisé pour l’occasion de drapeaux israéliens. L’événement était dédié à la mémoire du fondateur d’Israel is Forever, le très controversé Jacques Kupfer. Cet ancien dirigeant du Likoud de France, partisan de l’annexion de la Cisjordanie, s’était distingué après l’assassinat de Yitzhak Rabin, en novembre 1995, en déclarant regretter que le défunt premier ministre israélien n’ait pas été jugé par un tribunal militaire pour haute trahison, en tant que signataire des accords de paix d’Oslo.
Quelques jours avant la venue de M. Smotrich à Paris, des associations propalestiniennes, ainsi que l’Union juive française pour la paix, une organisation d’extrême gauche antisioniste, avaient appelé à manifester contre sa visite. La Ligue des droits de l’homme avait publié un communiqué affirmant que ce représentant de la frange la plus radicale des colons de Cisjordanie, qui s’est un jour défini comme un « fasciste homophobe » , n’était « pas le bienvenu sur le territoire de la République française » .
A la suite de ces pressions, le propriétaire de la salle où l’événement avait été initialement programmé, le Pavillon des princes, porte d’Auteuil, avait annulé la location. Le Fonds national juif, cheville ouvrière du mouvement sioniste, avait aussi pris ses distances avec la cérémonie.
Puis, des journalistes israéliens, à l’instar de Tal Schneider, correspondante politique du Times of Israel , ont annoncé l’annulation de l’événement, affirmant que la crise politique en cours en Israël imposait que le ministre des finances accélère son retour à Tel-Aviv. Les organisateurs ont laissé dire, tout en cherchant en catimini une salle de remplacement. Une fois celle-ci trouvée, ils ont discrètement prévenu les invités et, finalement, M. Smotrich a pu monter sur scène en toute tranquillité.
Seule une poignée de juifs français, qui ont eu vent du changement de salle, ont réussi à venir manifester aux abords des Salons Hoche. Un important déploiement policier et la présence de membres du Betar, une organisation juive d’extrême droite, les ont empêchés d’y pénétrer. Lors d’une visite houleuse de M. Smotrich à Washington, dimanche 12 mars, plusieurs centaines de juifs américains avaient crié : « Honte » sous les fenêtres de son hôtel.
Interrogé par la chaîne I24 News sur le refus des chancelleries occidentales de le recevoir, le ministre israélien s’est efforcé de minimiser les désaccords. « Si nous avons des divergences de vues avec les Etats-Unis et avec la France, une amitié profonde nous unit, et une volonté de garantir la protection d’Israël et la sécurité des juifs à travers le monde »,a-t-il déclaré. Les autorités françaises, qui avaient annoncé la semaine passée qu’elles ne recevraient pas M. Smotrich, n’ont pas réagi aux paroles haineuses qu’il a prononcées à Paris.
Benjamin Barthe
Mercredi 22 mars 2023
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