Propos recueillis par Pierre Barbancey
Humanité-Dimanche du 23 au 29 mars 2023
Avocat franco-palestinien, chercheur pour l’association des
droits des prisonniers Addameer(*), Salah Hamouri a d’abord été
arrêté en 2005. En 2008, après trois années de détention
administrative, il accepte une procédure de plaidoyer de
marchandage en reconnaissant sa culpabilité afin d’échapper à
une peine éventuelle de quatorze ans. Il est finalement condamné
par un tribunal militaire à une peine de sept ans
d’emprisonnement. Une campagne est lancée en France pour sa
libération. Il sortira en 2011, de façon anticipée. Mais les
autorités israéliennes n’ont pas cessé de le harceler, le
plaçant à plusieurs reprises en détention administrative, dont
la dernière, en mars 2022, a été renouvelée jusqu’en décembre de
la même année. Dans le même temps, son permis de résident
permanent à Jérusalem, ville où il est né, lui est retiré.
Aujourd’hui en région parisienne avec sa famille (son épouse,
française, avait elle-même été interdite de territoire par
Israël et empêchée de se rendre en Palestine), il poursuit son
combat. Mais les autorités françaises tentent de l’empêcher de
participer à des réunions publiques, comme ce fut le cas à Lyon,
récemment.
Vous êtes arrivé le 18 décembre en France, après neuf mois de
détention dans une prison israélienne, puis après avoir été
expulsé. Quelles ont été vos premières pensées en arrivant sur
le territoire français?
Un processus s’est enclenché dans mon esprit bien avant mon
arrivée en France. Les Israéliens sont venus me chercher dans ma
cellule, il était 23 h 30, le 17 décembre. Ils m’ont menotté et
m’ont emmené en voiture jusqu’à l’aéroport de Tel-Aviv.
J’ai décidé alors de ne pas regarder par les fenêtres du
véhicule de la police. Je ne voulais pas que les dernières
images qui se gravaient dans mon esprit proviennent d’une
voiture de police. Il était hors de question pour moi que ce
soit ça. À l’aéroport, après une nouvelle fouille, je me suis
retrouvé sur le tarmac à 5 heures du matin. J’avais encore les
mains et les pieds menottés et je suis monté dans l’avion comme
ça. Je suis resté entravé jusqu’à Roissy, avec des flics à côté
de moi pendant tout le voyage.
Je me suis dit que j’arrivais à Paris malgré moi, arraché de
force à ma terre, à ma ville. Bien sûr, j’étais heureux aussi de
retrouver de nouveau mon épouse, Elsa, et les enfants. Mais,
même avant mon arrivée sur le sol français, j’avais totalement
conscience qu’un nouveau combat commençait. Ils m’ont déporté,
ils m’ont amené en France contre ma volonté, mais il était hors
de question que j’abdique quoi que ce soit. Pour moi, la
Palestine est une cause, ce n’est pas de la géographie.
Lors de ces neuf mois d’emprisonnement, avez-vous eu le
sentiment que l’attitude des autorités israéliennes avait
changé par rapport à vos précédentes détentions, qu’elles
cherchaient autre chose ?
Il faut rappeler que la façon dont j’ai été arrêté, le 7 mars
2022, a été particulièrement brutale. J’ai senti dès le début
qu’il ne s’agissait pas d’un emprisonnement classique, avec une
entrée puis une sortie. Dès qu’ils m’ont arrêté, j’ai eu le
sentiment que les choses allaient se terminer différemment que
précédemment. Mon arrestation s’est produite à un moment
sensible. La tension recommençait à monter à Jérusalem et en
Cisjordanie. Et, surtout, ils avaient décidé de me retirer de
façon définitive ma carte de résident de Jérusalem.
Ils n’ont jamais cessé de vous harceler, y compris avant
votre arrestation ?
En octobre 2021, on a découvert que mon téléphone avait été
hacké par le logiciel espion Pegasus, élaboré par la société
israélienne NSO. Le 17 octobre de cette même année, ma carte de
résident m’était retirée définitivement. Le 19, six ONG
palestiniennes (1) de défense des droits de l’homme étaient
désignées comme «organisations terroristes» par le ministère
israélien de la Défense, en vertu de la loi antiterroriste
israélienne de 2016. Pour moi, tout s’est passé en une semaine.
Et, évidemment, cela ne doit rien au hasard.
Qu’en a-t-il été de vos conditions de détention ?
Les conditions de détention des prisonniers palestiniens se
détériorent de plus en plus. Pendant vingt ans, j’ai fait des
allers-retours dans les prisons israéliennes. À chaque fois,
j’ai pu me rendre compte de la dégradation continue. Par
exemple, une nouvelle loi prévoit qu’il n’y ait de l’eau chaude
pour les douches collectives qu’une heure le matin et une heure
le soir. Ce qui, en moyenne, fait une minute et demie le matin
et une minute et demie le soir pour chaque prisonnier. Ça n’a
jamais été comme ça.
Le ministre israélien de la Sécurité nationale a ordonné la
fermeture des boulangeries gérées par des prisonniers
palestiniens dans les prisons du pays.
Récemment, face aux protestations des prisonnières
palestiniennes, la police a tiré des gaz lacrymogènes alors
qu’elles se trouvaient dans leurs cellules. Il y a véritablement
une décision de détruire les prisonniers. C’est pour cela que,
le 23 mars, le premier jour du ramadan, les 4 000 prisonniers se
mettront en grève de la faim.
Vous avez vous aussi participé à une grève de la faim,
l’année dernière. C’était particulièrement dur ?
Oui, c’était fin août. Il s’agissait de protester contre le
régime de détention administrative que moi même et des dizaines
d’autres prisonniers nous supportions. Cette grève a duré
dix-neuf jours.
J’ai été particulièrement maltraité. C’était horrible. Tout
était fait pour me détruire. J’ai été transféré à l’isolement
total dans une section réservée aux malades mentaux. La cellule
dans laquelle ils m’ont jeté faisait 3 mètres sur 2 mètres.
Il y avait juste un lit, quasiment par terre. En face de moi,
les toilettes, à peine protégées par un petit mur. Il n’y avait
pas de fenêtre. Une caméra placée à l’intérieur de la cellule me
surveillait 24 heures sur 24. Il n’y avait pas de douche. Je
n’avais qu’un drap, seulement un pantalon et une chemise alors
que la cellule était envahie de fourmis. Je n’ai pas eu le droit
de sortir pendant les dix-neuf jours de la grève de la faim. Ils
ne m’ont même pas autorisé le sel, qui est pourtant
indispensable lors d’une grève de la faim.
Ont-ils pratiqué la torture ?
Ce n’était pas une torture physique mais psychologique. Ainsi,
en pleine nuit, ils venaient fouiller ma cellule. En réalité,
c’était juste pour me réveiller et me déstabiliser
En quoi la question des prisonniers politiques est-elle
particulièrement importante ?
Malgré tout ce qui s’est passé politiquement en Palestine – je
pense notamment à la division entre le Fatah et le Hamas –, une
des rares questions qui demeure et continue à unifier le peuple
palestinien, c’est celle des prisonniers politiques. Parce que
les Palestiniens ont confiance en ceux qui sont emprisonnés, car
ils sont aussi une marque forte de leur engagement pour la cause
nationale : chaque famille a ou a eu au moins un de ses membres
en prison.
Quel est l’état d’esprit des prisonniers palestiniens ?
Il y a le sentiment qu’on les oublie. Particulièrement quand on
voit que certains ont passé trente ans, quarante ans dans ces
geôles ! Les jeunes qui ont été mis en prison pendant la seconde
Intifada, et même ceux qui arrivent aujourd’hui et qui vont être
jugés à perpétuité, se demandent s’ils vont devoir attendre
quarante ans avant d’être libérés ! Ils sont très critiques et
font porter la responsabilité sur l’ensemble des organisations
palestiniennes. Ce qui ne les empêche pas de poursuivre leur
engagement en essayant de participer aux discussions politiques
avec l’extérieur. Mais ils se posent des questions sur leur
libération. D’ailleurs, ils m’ont dit que, en étant en France,
je pouvais jouer un rôle très important pour eux. Ils comptent
sur la solidarité internationale pour recouvrer la liberté et
pour la défense de leurs droits. Ils ont besoin de cette
solidarité.
Un gouvernement d’extrême droite est en place en Israël, les
colons sont de plus en plus violents comme on a pu le voir à
Huwara fin février, l’armée israélienne multiplie les raids
meurtriers comme à Jénine et à Naplouse et, en même temps,
certains jeunes Palestiniens forment des groupes armés. Se
dirige-t-on vers une troisième Intifada ?
Au niveau politique, c’est l’impasse, notamment avec la division
entre le Fatah et le Hamas. Or, aucun des deux ne veut
réellement de réconciliation. La responsabilité de cette impasse
incombe aux Israéliens, aux Européens et aux Américains, et dans
une certaine mesure à l’Autorité palestinienne elle-même. Pour
s’en sortir, il faut élire de nouveaux représentants de l’OLP,
qui représente les 14 millions de Palestiniens. C’est le plus
urgent.
Est-on un État ou un mouvement de libération nationale ? À mon
avis, on est un mouvement de libération nationale. Les jeunes
Palestiniens dépassent donc les demandes des partis politiques.
Ils essaient de s’organiser autrement, à leur façon.
On voit à Jénine, Naplouse mais aussi à Jérusalem, comment ces
jeunes réagissent contre l’occupant. J’ai le sentiment que tout
est réuni pour que quelque chose éclate. Ce mois de ramadan
risque de ne pas être calme. Le centre du déclenchement pourrait
d’ailleurs se trouver à Jérusalem et aussi parmi les
Palestiniens de 1948 (ceux qui vivent en Israël – NDLR).
Maintenant que vous êtes en France, comment envisagez-vous la
suite ?
Mon combat a commencé il y a vingt-deux ans, lorsque j’ai été
blessé à la jambe. Les Israéliens doivent savoir que ma
déportation ne va pas arrêter ma détermination. Au contraire,
elle me donne plus de force encore pour défendre le droit des
Palestiniens et plus largement les droits des peuples dans la
région et dans le monde.
Propos recueillis par Pierre Barbancey
Humanité-Dimanche du 23 au 29 mars 2023
(*) Addameer, association de soutien aux prisonniers et
aux droits humains ; Al-Haq, le droit au service des hommes ;
Bisan, centre de recherche et de développement ; Defence for
Children International Palestine ; l’Union des comités de travail
agricole ; l’Union des comités de femmes palestiniennes…
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