Jérusalem, lundi 27 mars. Le premier ministre Benyamin Netanyahou à la Knesset. Marc Israel SELLEM/AFP |
Limogé par Benyamin Netanyahou la veille, le ministre de la Défense, Yoav Galant, a dû se lisser les moustaches (qu’il n’a pas) en écoutant le premier ministre annoncer, lundi soir, une « pause » dans la réforme judiciaire. C’est précisément pour avoir émis une telle proposition qu’il a été viré ! Comme l’écrivait Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien : « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. »
Pour les centaines de milliers de manifestants qui, depuis douze semaines, s’élèvent contre ce qu’ils appellent une « remise en cause de la démocratie israélienne », c’est bien sûr un soulagement. Ce n’est pas rien : ils ont contraint l’inflexible Netanyahou à manœuvrer en recul. Mais celui-ci est connu pour sa roublardise et ses ruses politiques. La dirigeante travailliste, Merav Michaeli, et le chef du parti Israel Beytenu, Avigdor Liberman, ont tous deux accusé le premier ministre de chercher à briser le mouvement de protestation avant de reprendre sa marche législative. « Nous avons toujours dit que nous n’accepterions qu’une suppression complète des projets de loi dangereux sur le coup d’État. Netanyahou ne les supprime pas, il gagne du temps aux dépens de notre démocratie », a déclaré Merav Michaeli. Elle affirme que la bataille se poursuivra. « Les déclarations du premier ministre et de ses partenaires extrémistes sont l’aveu de leur intention de continuer à légiférer sur la dictature lors de la prochaine session de la Knesset », assure-t-elle.
Shikma Bressler, physicienne nucléaire, figure iconique du mouvement de protestation, arrêtée lors d’une manifestation, a donné son sentiment, sans détour et dans un langage imagé et haché propre à Twitter, quelques heures après la prise de parole de Netanyahou. « Nous connaissons très bien le dictateur tremblant de notre service de sécurité. Et donc n’achetez pas une particule de sa parole et de celle de la mafia qui l’entoure. Pas d’arrêt, pas de report, pas de congélation, pas de mise au congélateur pendant un mois et de réchauffage, mais une mise à l’écart complète de la législation. Retrait définitif du pistolet de la tempe. Ensuite, parvenir à un contour sain avec un large consensus. »
Ben Gvir se voit offrir une « milice privée »
Alon-Lee Green, qui dirige l’association Standing Together (Ensemble), se dit « content de voir que nous avons été assez forts et assez puissants dans les rues pour pousser Netanyahou, contre sa volonté, à suspendre sa réforme. Mais nous savons également que le danger ne demeure pas seulement au niveau de la législation et de la réforme du système judiciaire, mais également sur un certain nombre de décisions concernant Jérusalem et la Cisjordanie, qui se traduiront par une escalade de la violence. Ce qui nous fait dire qu’il faut continuer à se mobiliser, notamment pour gagner sur l’égalité, y compris pour les Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés ».
Des craintes largement fondées. Selon la chaîne de télévision Channel 12 News, lors de discussions entre ministres plus tôt dans la journée de lundi, quelques heures avant l’annonce de Netanyahou, Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité, aurait déclaré que la décision de retarder la réforme « laissait les anarchistes gagner ». Ce à quoi son acolyte colon du sionisme religieux, ministre des Finances et gouverneur civil des territoires occupés, Bezalel Smotrich, aurait répondu : « Nous ne les laissons pas gagner. Nous n’arrêterons la législation que pendant quelques mois. » Ben-Gvir en a profité pour élargir son portefeuille ministériel et se faire offrir sur un plateau le commandement d’une garde nationale. Ce qu’Alon-Lee Green appelle une « milice privée ». Il fait ainsi remarquer que « Ben-Gvir avait déjà avancé cette idée lors de l’accord de coalition gouvernementale. Mais maintenant, il comprend que c’est urgent parce qu’il n’arrive pas à contrôler la police comme il le voudrait. Il a demandé que les moyens les plus durs soient utilisés contre les protestataires mais de nombreuses unités n’ont pas voulu le suivre ».
Netanyahou bientôt invité à la Maison-Blanche ?
Ce qui n’a pas empêché une partie de l’opposition de se prêter au jeu en toute innocence ou, plutôt, en fausse naïveté. « Si la législation s’arrête réellement et totalement, nous sommes prêts à entamer un véritable dialogue à la résidence du président », a réagi Yaïr Lapid (centre), mais « nous devons d’abord nous assurer qu’il n’y a pas de ruse ou de bluff ». Pour Benny Gantz (centre-droit), autre ténor de l’opposition, « mieux vaut tard que jamais. Nous nous présenterons immédiatement à la résidence du président, la main tendue ». Dans le même temps, il enjoignait Benyamin Netanyahou « à cesser les menaces » et à envoyer une équipe chez le président d’Israël, Isaac Herzog, aux fonctions honorifiques.
Outre le fait que personne ne sait sur quoi pourraient porter d’éventuelles négociations, la manœuvre vise à diviser les manifestants. Pour cette marche arrière tactique, Netanyahou a utilisé deux arguments. Le premier, le plus commun en Israël, repose sur la sécurité. Selon lui, le fait que de très nombreux Israéliens menacent de ne pas remplir leurs obligations de réserve dans l’armée mettrait en danger le pays. Le second, tout aussi habituel, vise à montrer du doigt les supposés ennemis d’Israël, cette cinquième colonne qui utiliserait tous les moyens pour provoquer une déstabilisation.
L’attitude de Netanyahou avait, un temps, inquiété les États-Unis, soucieux de ne pas déstabiliser la région. Voilà le premier ministre israélien récompensé. Selon Thomas Nides, l’ambassadeur américain en Israël, Netanyahou devrait bientôt être invité à la Maison-Blanche, une première depuis l’élection de Joe Biden. On aurait cependant tort de penser que la crise en Israël est terminée. « Tant que le travail législatif (sur la réforme) n’est pas totalement stoppé, nous manifesterons dans les rues », assure un des multiples collectifs de la contestation, qui dénonce « une nouvelle tentative de Netanyahou de détourner l’attention du public pour affaiblir la contestation avant d’établir une dictature ». De prochaines manifestations sont prévues ce mercredi, puis samedi.
Pierre Barbancey
L'Humanité du 29 mars 2023
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