Les ambitions diplomatiques de la Chine au Moyen-Orient

 

La coutume voulait depuis plusieurs décennies que les inflexions majeures concernant le Moyen-Orient soient annoncées aux Etats-Unis. La nouvelle de la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, après près de sept ans de rupture, n’a pourtant pas eu pour cadre Washington, le 10 mars, mais Pékin. Il s’agit d’un succès significatif pour Xi Jinping, le président chinois reconduit pour un troisième mandat historique le jour même. En se posant en « médiatrice de bonne foi et fiable » , en lieu et place du « courtier honnête » américain, la Chine donne un début de substance à son Initiative pour la sécurité mondiale présentée en février, qui entend modifier à son avantage un ordre mondial contesté de toutes parts.

Il est vrai que Pékin disposait dans cette affaire moyen-orientale de bien plus d’atouts que Washington. Contrairement aux Etats-Unis, la Chine entretient des relations cordiales avec les deux géants du Moyen-Orient auprès desquels elle s’approvisionne en hydrocarbures. Elle se montre en outre totalement indifférente à la répression brutale d’un mouvement de contestation en cours en Iran, comme au nouvel autoritarisme saoudien.

Pékin a profité de la défiance manifestée par l’homme fort de Riyad, le prince héritier Mohammed Ben Salman, à l’égard de Washington. Ce dernier n’a pas oublié l’absence de réaction forte de l’administration de Donald Trump lors de l’attaque d’installations pétrolières saoudienne survenue en 2019, prêtée à l’Iran. Son successeur, Joe Biden, a aggravé son cas en promettant au prince un sort de paria après l’assassinat du dissident Jamal Khashoggi, en 2018, avant de quémander sans succès une augmentation de la production de pétrole pour contenir la hausse des prix, à la veille des élections de mi-mandat, en novembre 2022.

Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à être pris de court. Cette reprise des relations diplomatiques arrive en effet au pire moment pour le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, déjà fragilisé dans son pays par la contestation que suscite une réforme de la justice qui mine les ressorts démocratiques d’Israël. M. Nétanyahou espérait isoler un peu plus l’Iran en ralliant l’Arabie saoudite, ses calculs viennent de s’effondrer.

Washington a tenté de minorer le revers diplomatique qui lui a été infligé en espérant publiquement que cette normalisation contribue à la stabilité régionale. Téhéran et Riyad disposent en effet de leviers considérables dans la guerre qui dévaste le Yémen, comme dans la crise politique profonde qui paralyse le Liban. La moindre avancée serait bénéfique pour la région tout entière.

La prudence reste cependant de mise. Quelques jours de négociations à Pékin, après deux ans d’approches facilitées par le traditionnel médiateur omanais et par l’Irak, ne suffiront certainement pas pour surmonter des décennies d’une sourde hostilité, d’autant que cette dernière est dramatisée par les ambitions nucléaires de la République islamique d’Iran, restées entières.

Il n’empêche. Cette normalisation irano-saoudienne sous les auspices de Pékin est l’annonce d’un monde multipolaire, au sein duquel l’opportunisme tient lieu de boussole. Le comportement du prince héritier saoudien, marchandant avec Washington les contreparties d’une éventuelle normalisation avec Israël, tout en négociant avec l’Iran, sous l’égide de Pékin, en est une bonne illustration. La leçon vaut pour les Etats-Unis, comme pour leurs alliés.

Le Monde du 15 mars 2023

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