Le Moyen-Orient portera-t-il chance à la Chine ?

 

En parrainant la normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la Chine ancre au Moyen-Orient sa vocation de puissance mondiale.
C’est au Moyen-Orient que George H. Bush a posé, en 1991, les bases de son « nouvel ordre mondial », visant à assurer l’hégémonie américaine sur les ruines de l’Union soviétique. La campagne de libération du Koweït par une coalition menée par les Etats-Unis s’est alors accompagnée d’un « processus de paix » israélo-arabe, toujours sous l’égide de Washington.
Ce grand œuvre impérial a vacillé, douze ans plus tard, avec le désastre de l’invasion de l’Irak par George W. Bush, qui a ainsi contribué à détruire ce que son père avait patiemment établi. Les présidents Obama, Trump et Biden, au nom de leur volonté de mettre un terme aux « guerres sans fin » au Moyen-Orient, ont réagi en désengageant les Etats-Unis de cette région jusque-là jugée stratégique et en abandonnant toute velléité de médiation dans le conflit israélo-palestinien.
Vladimir Poutine s’est engouffré dans l’espace ainsi laissé béant, développant à partir de la Syrie les instruments de sa stratégie offensive en Europe. Mais le Kremlin, malgré son engagement militaire aux côtés du régime Assad, s’est avéré incapable de promouvoir un règlement politique de la crise syrienne.

Un gisement de puissance
Le Moyen-Orient, fondamentalement perçu comme une zone de crises, dont les démocraties occidentales souhaitent avant tout se protéger, demeure pourtant un formidable gisement de puissance. Bush père en avait fait la démonstration, sans, à l’évidence, convaincre une majorité de ses compatriotes, qui ne l’avaient pas reconduit pour un second mandat, lui préférant en 1992 le très inconstant Bill Clinton.
Le pari du nouvel ordre mondial, toujours valide aujourd’hui, est que l’accès au statut de puissance globale passe par une capacité d’initiative au Moyen-Orient, non seulement économique et militaire, mais aussi diplomatique. C’est en tout cas la leçon qu’a visiblement tirée le président chinois, Xi Jinping, en parrainant la normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le succès d’une telle médiation est en effet indispensable pour que les investissements majeurs de la Chine au Moyen-Orient au cours de la décennie écoulée se traduisent en influence politique à vocation planétaire.
Là où les Etats-Unis et la Russie semblaient bridés par leurs priorités militaristes, aux dépens d’un éventuel « processus de paix » (entre Israéliens et Palestiniens pour Washington, en Syrie pour Moscou), Pékin paraissait avoir borné ses ambitions moyen-orientales au seul domaine économique. Devenue en 2015 le premier importateur mondial de pétrole, avec, depuis lors, au moins 40 % de ses approvisionnements en provenance du Moyen-Orient, la Chine veillait à diversifier ses fournisseurs, ainsi que ses coopérations économiques, même si l’Arabie saoudite et l’Iran arrivaient clairement en tête de telles coopérations. Xi Jinping a longtemps considéré que les tensions entre ses deux principaux partenaires au Moyen-Orient pouvaient être contenues.
Mais la centralité du Moyen-Orient, que la guerre d’Ukraine a paradoxalement confirmée, a convaincu Pékin de s’engager, cette fois diplomatiquement, dans une région aussi stratégique.

Opportunités et risques
C’est très symboliquement à Pékin qu’a été scellée, le 10 mars, la normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, dont les relations diplomatiques, rompues depuis sept ans, doivent être rétablies au cours des deux mois. Il s’agit d’un tournant majeur dans la recomposition d’un Moyen-Orient aussi « post-américain » que le nouvel ordre mondial de George H. Bush était post-soviétique.
Joe Biden avait déjà prouvé son incapacité à relancer l’accord sur le nucléaire iranien, sabordé par son prédécesseur, Donald Trump. Il avait également promis de traiter en « paria » Mohammed Ben Salman, le dirigeant de fait du royaume saoudien, avant d’essayer en vain de se concilier les bonnes grâces de Riyad.
En revanche, Xi Jinping a été accueilli avec faste en Arabie, en décembre 2022, pour le premier sommet sino-arabe, auquel assistaient, entre autres, les présidents égyptien, palestinien, tunisien et mauritanien. Quant au chef de l’Etat iranien, il s’est rendu à Pékin en février pour consolider le partenariat noué sur vingt-cinq ans entre la Chine et l’Iran.
Xi Jinping s’est senti assez fort pour ajouter la médiation diplomatique à la palette de ses instruments de puissance au Moyen-Orient. L’annonce de la normalisation irano-saoudienne a d’ailleurs coïncidé avec la reconduction triomphale du dirigeant chinois pour un troisième mandat à la tête de l’Etat. Quelques jours plus tard, Pékin confirmait la tenue en mer d’Oman des exercices de « ceinture de sécurité maritime 2023 » associant les marines d’Iran, de Chine… et de Russie.
De telles manœuvres ne peuvent se dérouler qu’avec l’aval tacite de l’Arabie saoudite, ce qui prouve que l’activisme diplomatique de Pékin au Moyen-Orient y favorise aussi sa présence militaire, à l’inverse de la spirale déclinante des Etats-Unis dans la région.
Et si la médiation chinoise débouche sur un déblocage de la présidentielle au Liban, voire sur des négociations enfin substantielles au Yémen, alors la Chine aura démontré que le Moyen-Orient, loin d’être fatalement un foyer de problèmes, peut aussi devenir un générateur d’opportunités à l’échelle mondiale. Rien n’est acquis, mais Xi Jinping a, à l’évidence, choisi de tenter sa chance.

Jean-Pierre Filiu
Le Monde du 19 mars 2023

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