Le refus de Mahmoud Abbas d’organiser, à 88 ans, sa propre succession, confirme la faillite historique de l’Autorité palestinienne, qu’il préside depuis 2005.
L’Autorité palestinienne (AP) a été créée par les accords négociés à Oslo et signés en 1993 par Yitzhak Rabin, premier ministre d’Israël, et Yasser Arafat, président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Mais là où Israël y voyait fondamentalement le gage d’une « coopération sécuritaire » dans les territoires évacués par son armée, l’OLP projetait dans une telle Autorité ses rêves d’Etat indépendant. Les bailleurs de fonds, Union européenne en tête, ont entretenu cette illusion en subventionnant massivement l’AP dans la perspective de la « solution à deux Etats ».
A Rabin, assassiné par un extrémiste juif en 1995, a pourtant succédé un farouche opposant aux accords d’Oslo, Benyamin Nétanyahou, de 1996 à 1999, puis de 2009 à 2021. De retour à la tête du gouvernement israélien depuis quelques mois, Nétanyahou retrouve face à lui Mahmoud Abbas qui, après le décès d’Arafat en 2004, lui a succédé à la présidence de l’OLP comme de l’AP.
La confusion des légitimités
Arafat était parvenu à contenir les contradictions inhérentes à l’emboîtement entre, d’une part, l’AP et son Conseil législatif palestinien (CLP), élu au suffrage universel à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et à Gaza, et, d’autre part, l’OLP, avec son conseil exécutif, son conseil central et son conseil national, censés représenter aussi bien la population des territoires occupés que la diaspora palestinienne. La gestion de ces deux niveaux de légitimité était facilitée par le charisme d’Arafat et sa mainmise sur le Fatah, majoritaire dans l’OLP, ainsi que par le refus des islamistes du Hamas de jouer le jeu de l’OLP comme de l’AP.
Tout bascule avec l’élection d’Abbas, à la fois chef du Fatah et de l’OLP, par 62 % des suffrages en 2005 à la présidence de l’Autorité palestinienne et, l’année suivante, avec la victoire du Hamas aux législatives, avec 74 des 132 sièges du CLP. Chacun des mouvements rivaux se prévaut d’une légitimité électorale pour revendiquer sa seule et unique « Autorité », jusqu’à la rupture de 2007 entre le « Fatahstan » de Cisjordanie et le « Hamastan » de Gaza.
Des cycles de pourparlers entre le Fatah et le Hamas, hier par la médiation de l’Egypte, aujourd’hui par celle de l’Algérie, ne sont pas parvenus à sortir de cette division désormais ancrée dans deux territoires palestiniens. La campagne menée par Abbas au nom de l’OLP pour obtenir, en 2012, la reconnaissance de la Palestine comme Etat non membre de l’ONU, mais avec un statut d’observateur, a encore aggravé la confusion, puisque le gouvernement de l’AP, voire son administration, se réclame désormais d’un « Etat de Palestine », aujourd’hui reconnu par 139 Etats.
L’AP est pourtant loin d’incarner un tel « Etat », elle qui est avant tout un appareil sécuritaire hypertrophié, laissant à l’initiative privée le soin de gérer les universités, les institutions culturelles ou les projets de développement, tandis que l’ONU assure une grande partie des services de base. En outre, Abbas, dont le mandat a expiré depuis treize ans, a dissous le CLP en 2018, privant l’Autorité palestinienne de toute légitimité démocratique. Enfin, Abbas n’exerce depuis Ramallah son « Autorité » que sur 40 % de la Cisjordanie et 2,8 millions de Palestiniens (contre 2,2 millions à Gaza).
Après moi, le déluge
Les forces de la « troisième voie » palestinienne, indépendantes du Fatah comme du Hamas, sont néanmoins parvenues, en 2021, à faire entériner par les deux mouvements rivaux un calendrier d’élections pour le Parlement, puis pour la présidence de l’AP. Abbas, qui s’était engagé à ne pas se représenter, a finalement préféré s’accrocher au pouvoir en reportant sine die ces scrutins. Cette fermeture de l’horizon politique a laissé libre cours à l’escalade de mai 2021 qui, de Jérusalem-Est à Gaza, s’est aussi étendue aux villes judéo-arabes d’Israël.
Mais l’Union européenne a préféré continuer de subventionner à fonds perdu l’autocrate de Ramallah, malgré la brutale répression de toute forme de contestation en Cisjordanie. Une telle politique, à très courte vue, fait non seulement le jeu du Hamas, mais favorise aussi le développement, en Cisjordanie même, de groupes armés dont l’engagement anti-israélien se double dorénavant d’une hostilité ouverte à l’AP.
Abbas, qui fête aujourd’hui même ses 88 ans, refuse avec constance de désigner un successeur. Certes, sa préférence semble aller à Hussein Al-Sheikh, ministre de l’AP chargé des relations avec Israël, récemment promu secrétaire général de l’OLP. Mais Majed Faraj, le chef des renseignements de l’AP, et à ce titre l’autre pilier de la « coopération sécuritaire » avec Israël, est aussi sur les rangs. Au sein même du Fatah, ces deux proches d’Abbas sont contestés par les partisans de Marwan Barghouti, emprisonné en Israël, et de Mohammed Dahlan, exilé à Abou Dhabi. Le risque d’effondrement de l’AP et d’affrontements miliciens est donc très sérieux à la mort d’Abbas.
La seule alternative à une telle catastrophe serait pour l’Union européenne de conditionner toute forme de financement de l’AP à la tenue d’élections générales, afin que l’organisation démocratique de la succession d’Abbas permette de sortir enfin de l’impasse actuelle. Pour mémoire, le conflit israélo-palestinien est entré depuis le début de cette année dans un nouveau cycle de violences, avec à ce jour 101 tués, dont 87 Palestiniens et 14 Israéliens.
Jean-Pierre Filiu
Le Monde du 26 mars 2023
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