Comment stopper la colonisation israélienne ?

 

Tel-Aviv vient d’autoriser de nouvelles colonies. Seul un coup d’arrêt à ce processus d’annexion de la Cisjordanie peut relancer un processus de paix. Avec Patrick Le Hyaric, ancien député européen et membre de la délégation du Parlement européen chargé des relations avec la Palestine de 2009 à 2019 et Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne

L’Union européenne est complice des violations du droit international par Israël. Il faut se mobiliser pour que l’Europe agisse.
Par Patrick Le Hyaric
Ancien député européen et membre de la délégation du Parlement européen chargé des relations avec la Palestine de 2009 à 2019

C’est contre le colonialisme et la colonisation que la jeunesse palestinienne s’insurge et agit. Elle a raison de vouloir empêcher les expulsions des logements, notamment à Jérusalem, l’accaparement des terres, le vol de l’eau de la vallée du Jourdain. C’est une nouvelle phase du combat pour la libération qui est ainsi engagée contre un occupant qui s’est doté d’un pouvoir d’extrême droite, religieux et suprémaciste.
Les États-Unis et l’Union européenne sont complices de la violation du droit international. Le gouvernement de Tel-Aviv colonise, brime et réprime, occupe, annexe chaque jour un peu plus la Palestine : 164 colonies et 116 avant-postes préparant l’installation de colonies supplémentaires incluant Jérusalem-Est. Le combat contre la colonisation est celui de la construction d’un pays, d’un État. Les Palestiniens ont pour eux le nombre et le droit international. Rien ne dit qu’il sera possible d’y résister.
Le combat contre la colonisation est celui de la construction d’un pays, d’un État.
Le droit international ne peut être à géométrie variable selon les intérêts occidentaux et leurs sociétés financières et industrielles. À juste titre les institutions internationales et la plupart des gouvernements demandent instamment au maître du Kremlin de mettre fin à sa tentative d’annexion et de respecter la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Pourquoi les mêmes n’ont-ils donc aucun mot pour faire cesser l’annexion de la Palestine ? Les trois quarts de l’humanité perçoivent bien cet insupportable deux poids, deux mesures. Nous devons donc rehausser nos interventions auprès du gouvernement et de l’Union européenne.
En ces temps où l’on se gargarise tant des « valeurs » démocratiques, l’Union européenne ne semble pas décidée à sanctionner les atteintes au fameux « État de droit » malgré les mouvements de masse des populations et des juristes israéliens. Au contraire, elle garde un étrange silence et relance le conseil d’association qui avait été annulé depuis 2012. Mandataire zélé des intérêts capitalistes, les autorités européennes couvrent l’implication de centaines d’institutions financières européennes, qui ont octroyé au moins 255 milliards de dollars à une cinquantaine d’entreprises participant activement au développement des colonies à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. La France ne trouve rien à redire à l’implantation du groupe Carrefour dans les colonies, ni aux financements par BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et la BPCE, de projets irriguant l’économie de la colonisation.
L’action en direction des gouvernements et des grandes entreprises et banques qui soutiennent la colonisation est le moyen de faire respecter l’article 49 de la 4e convention de Genève, qui interdit « le transfert d’une partie de sa propre population civile par la puissance occupante dans le territoire occupé par elle ». La campagne européenne « Stop colonies » et la campagne « Boycott, désinvestissement, sanctions » doivent trouver de nouveaux prolongements pour des actions citoyennes communes à l’échelle européenne. Portons-nous aux côtés des travailleurs, des populations civiles et de la jeunesse palestinienne.

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Le mouvement national palestinien est plus vivant que jamais. Seules des sanctions internationales peuvent stopper la colonisation.
Par Leïla Shahid
Ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne

En mai, nous commémorerons les 56 ans d’occupation militaire de la Palestine et les 75 ans de la Nakba, la grande catastrophe de 1948 et l’expulsion de 700 000 Palestiniens. Cela fait 55 ans que l’occupation militaire israélienne dure sans que le monde entier la condamne et que personne ne fasse rien pour y mettre fin. Tous les jours, il y a plus de colonies, plus de routes et plus de camps militaires. Le nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou vient d’octroyer un permis officiel à 9 nouvelles implantations et d’autoriser la construction de 9 000 logements. Aujourd’hui, 700 000 colons vivent dans les territoires occupés. Leurs milices armées agressent les habitants des villages voisins, volent les terres et détruisent les champs d’oliviers. Les colons sont des religieux millénaristes et suprémacistes juifs, prêts à tuer femmes et enfants et à procéder à un nettoyage ethnique.
La Palestine a besoin que l’Europe et les pays arabes s’impliquent.
Pour sortir de la tragédie, la Palestine peut compter sur un mouvement national très puissant. Peu importe qui succédera à Mahmoud Abbas, le mouvement palestinien est un mouvement de citoyens. Nous assistons au retour de ceux que Jean Genet appelait les fedayins, les « combattants de la liberté ». Cette reprise de la lutte armée est le fruit de la débâcle de la diplomatie américaine, européenne et arabe. Les jeunes Palestiniens des camps de Cisjordanie ont pris les armes contre les colons. Ces jeunes qui ont entre 13 et 18 ans font preuve d’une grande maturité. Ils ne s’en prennent pas aux civils. Ces jeunes prennent les armes pour dire au monde entier que la question palestinienne ne peut pas être effacée.
Nous assistons également au réveil du mouvement des prisonniers, qui a lancé un appel à la grève de la faim à compter du premier jour du ramadan. 4 780 Palestiniens, dont 19 femmes et 150 moins de 18 ans, croupissent dans les geôles d’Israël en violation des conventions de Genève. 914 personnes sont emprisonnées comme détenus administratifs, c’est-à-dire sans connaître le motif de leur détention et sans bénéficier d’un avocat. Le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a décidé de retirer la nationalité à tous les prisonniers qui résidaient en Israël et leur carte de résidence à tous ceux de Jérusalem-Est. Non seulement on détruit leur maison, on durcit leurs conditions de détention, mais en plus on les rend apatrides.
La Palestine a besoin que l’Europe et les pays arabes s’impliquent. La communauté internationale doit prendre des sanctions à l’encontre d’Israël. Comment expliquer la différence de traitement entre l’Ukraine et la Palestine ? Comment expliquer la rapidité avec laquelle la Russie a été sanctionnée et l’impunité dont jouit Israël depuis 56 ans ? Aujourd’hui encore, l’Union européenne achète des produits fabriqués dans les colonies. La coopération militaire, civile et scientifique se poursuit comme si de rien n’était. Les Palestiniens se défendent comme ils peuvent. Alors que les Ukrainiens réclament des armes, nous ne demandons, nous, que des sanctions. Sans sanctions, la colonisation se poursuivra.

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La colonisation est l’obstacle majeur à la paix. Il faut mettre fin à l’impunité d’Israël et interdire les transactions avec les colonies.
Par Taoufiq Tahani
Président d’honneur de l’Association France Palestine Solidarité

Le Conseil de sécurité de l’ONU a exprimé, par une simple déclaration, « sa profonde préoccupation et sa consternation » face à l’annonce par Israël, le 12 février, de la construction de 10 000 unités de logements dans les colonies en Cisjordanie, toutes illégales selon le droit international, et de la « légalisation » des avant-postes, colonies jusqu’ici considérées par le gouvernement israélien comme illégales. Cette déclaration ne condamne pas la colonisation et « rappelle l’obligation de l’Autorité palestinienne de renoncer à la terreur », passant sous silence les crimes de l’armée et des colons. Joe Biden ne voulait pas de résolution du Conseil et il a fait pression pour que celle qui condamne la colonisation et qui devait être soumise au vote soit retirée. Il a obtenu gain de cause : la déclaration est plus symbolique que le vote.
Pourtant, le secrétaire d’État américain, ainsi que les ministres allemand, français, italien et britannique des Affaires étrangères avaient, dans un communiqué commun, exprimé leur ferme opposition à l’annonce israélienne, assimilée à une action unilatérale ne faisant qu’ « accroître les tensions entre Israéliens et Palestiniens ». Ces ministres savent tous que la colonisation est un crime de guerre. Michael Lynk, ancien rapporteur spécial sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, l’avait établi. Pour Francesca Albanese, qui l’a remplacé, il s’agit d’un crime de guerre au sens du statut de Rome régissant la Cour pénale internationale. Mais Biden, au nom du droit face à l’agression russe, ne pouvait se permettre de mettre son veto le même jour au Conseil de sécurité à une résolution contre la violation de ce même droit par Israël. Les autres signataires du communiqué sont experts dans la politique du deux poids deux mesures. Aucun n’a soutenu, fin décembre, la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies qui demandait à la Cour internationale de justice de donner un avis juridique sur l’occupation prolongée de la Palestine. La France s’est abstenue et les autres ont voté contre.
Pour stopper la colonisation, obstacle majeur à la paix, il faut mettre fin à l’impunité d’Israël et écouter l’expertise des organisations de défense des droits humains et d’universitaires qui concluent que les politiques et pratiques discriminatoires généralisées employées par Israël à l’égard des Palestiniens constituent un crime d’apartheid au regard du droit international. Il faut interdire toute transaction commerciale avec les colonies et imposer des sanctions à Israël tant qu’il ne respecte pas le droit international. Il faut reconnaître l’État de Palestine pour bien signifier que tout ce que fait Israël au-delà de la ligne verte d’avant 1967 est un crime d’agression. Il faut apporter un ferme soutien à la Cour pénale internationale, qui a décidé en mars 2021 l’ouverture d’une enquête pour les crimes commis, depuis juin 2014, dans les territoires palestiniens occupés. Israël doit être traité comme les autres pays. Il ne peut être au-dessus de la loi et du droit.

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Le nouveau gouvernement veut annexer la Cisjordanie. La mobilisation en cours de la population israélienne peut contribuer à le stopper.
Par Dominique Vidal
Journaliste et historien

Depuis le 1 er janvier 2023, 83 Palestiniens ont été assassinés par l’armée israélienne. Et 13 Israéliens ont perdu la vie dans des attentats. Dernièrement, la mort de deux Israéliens a servi de prétexte aux colons pour perpétrer dans la ville d’Huwara un véritable pogrom – terme que même la presse de Tel-Aviv utilise.
Rarement la situation a donc été aussi grave en Palestine. Et pour cause : Benyamin Netanyahou a associé à son nouveau gouvernement, à des postes clés, des suprémacistes, racistes et homophobes. Ces « néonazis », comme les qualifie l’historien spécialiste du fascisme Daniel Blatman, menacent à la fois d’annexer le reste de la Cisjordanie, d’en finir avec ce qui reste de la démocratie israélienne et de déclencher une guerre contre l’Iran.
Il faut les arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Comment ? Beaucoup dépend de la résistance du peuple palestinien et notamment de sa jeunesse, qui n’hésite plus à recourir aux armes pour se défendre. Pèsera également l’émotion des opinions arabes, très majoritairement attachées à la cause palestinienne et hostiles aux accords d’Abraham. Plus largement, c’est toute la communauté internationale qui doit se remobiliser, afin que les États traduisent en actes le soutien aux droits du peuple palestinien qu’ils manifestent en paroles à l’ONU. Il faut notamment que Paris, malheureusement première capitale à accueillir Benyamin Netanyahou depuis sa réélection, invite l’Union européenne à suspendre son accord d’association avec Israël afin de doucher ses ardeurs bellicistes.
Comptera aussi l’expression de l’opinion israélienne. Et c’est le cas avec, depuis janvier, des défilés ininterrompus de grande ampleur – jusqu’à 300 000 participants en une journée, soit l’équivalent de 2 millions en France. Certes, la place qu’y occupe la question palestinienne n’est pas centrale, mais pas marginale pour autant : les dizaines d’associations réunies dans le « bloc anti-occupation » rallient un nombre croissant de manifestants, qui arborent même des drapeaux palestiniens pourtant interdits. Les rassemblements organisés par les communistes après Huwara contribuent à cette prise de conscience.
Ne sous-estimons pas pour autant le combat contre la marginalisation de la Cour suprême, même si elle a trop souvent légitimé l’occupation. Dans un pays dépourvu de Constitution, c’est le dernier garde-fou de la démocratie, jouant, en termes français, un triple rôle de Conseil constitutionnel, de Conseil d’État et de Cour de cassation. Sa survie conditionne donc largement l’avenir des Israéliens. Et des Palestiniens.
Car ces derniers seraient – qui peut en douter ? – les premières victimes d’une fascisation radicale du régime. Voilà pourquoi les démocrates, les progressistes et les pacifistes israéliens méritent aussi notre solidarité. L’avenir dépend aussi d’eux.

L'Humanité des 27 février et 13 mars 2023


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