Le ministre des finances de Benyamin Nétanyahou a participé, dimanche 19 mars, à une soirée de gala à l’invitation d’une association française juive proche de l’extrême droite, au cours de laquelle il a déclaré que « le peuple palestinien [était] une invention ».
L’ultranationaliste israélien Bezalel Smotrich, ministre des finances du gouvernement de Benyamin Nétanyahou et suprémaciste juif, a participé, dimanche 19 mars, à une soirée de gala, organisée à Paris, par une association française juive proche de l’extrême droite, Israel is forever.
Bien qu’elle ait été annoncée il y a une dizaine de jours, sa venue sur les bords de Seine a constitué une surprise. En milieu de semaine dernière, à la suite de protestations de mouvements propalestiniens et d’organisations de défense des droits humains, des médias israéliens avaient indiqué que le chef du Parti sioniste religieux, âgé de 43 ans, avait renoncé à ce déplacement.
M. Smotrich, qui arrivait des Etats-Unis, où il n’a pas eu d’entretien officiel, n’est resté que quelques heures à Paris et n’y a pas non plus rencontré de responsable gouvernemental. Le Quai d’Orsay avait fait savoir la semaine passée qu’il n’avait pas l’intention de recevoir le sulfureux ministre israélien.
Durant la cérémonie, M. Smotrich s’est exprimé derrière un pupitre décoré d’une carte incluant non seulement l’Etat hébreu et les territoires occupés palestiniens mais aussi le territoire de l’actuelle Jordanie : l’espace du Grand Israël pour les tenants de cette idéologie expansionniste.
Il a prononcé un discours dans lequel il a exhorté les juifs de France à faire leur alya, c’est-à-dire à s’installer en Israël, une rhétorique habituelle pour un dirigeant israélien de passage dans l’Hexagone. Mais l’homme qui a récemment appelé à « raser » le village palestinien de Huwara, en Cisjordanie, en représailles à l’assassinat de deux colons juifs, a aussi tenu des propos pleins de mépris pour les Palestiniens.
« Il y a juste des Arabes »
« Savez-vous qui sont les Palestiniens ? », a demandé M. Smotrich, au début de sa harangue, diffusée en direct sur Facebook. « Moi, je suis Palestinien, a-t-il répondu sous les vivats de l’assistance, une centaine de personnes, si l’on en juge par les images diffusées sur Facebook. Mon grand-père, qui est né après la treizième génération à Jérusalem, lui, il était Palestinien. Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu’ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n’en ont pas. Il n’y a pas de Palestiniens, il y a juste des Arabes. »
La soirée s’est déroulée dans les Salons Hoche, un luxueux centre de réception près des Champs-Elysées, pavoisé pour l’occasion de drapeaux israéliens. L’événement était dédié à la mémoire du fondateur d’Israel is forever, Jacques Kupfer, figure controversée du judaïsme français. Cet ancien dirigeant du Likoud de France et ex-membre de la direction de l’Organisation sioniste mondiale, est décédé en 2021 en Israël. Partisan de l’annexion de la Cisjordanie, connu pour son racisme anti-arabe, il s’était distingué après l’assassinat de Yitzhak Rabin, en novembre 1995, en déclarant regretter que le défunt premier ministre israélien n’ait pas été jugé par un tribunal militaire pour haute trahison, en tant que signataire des accords de paix d’Oslo.
Quelques jours avant la venue de M. Smotrich à Paris, des associations propalestiniennes, ainsi que l’Union juive française pour la paix, une organisation d’extrême gauche antisioniste, avaient appelé à manifester contre sa visite. La Ligue des droits de l’homme avait publié un communiqué affirmant que ce représentant de la frange la plus radicale des colons de Cisjordanie, qui s’est un jour défini comme un « fasciste homophobe », n’était « pas le bienvenu sur le territoire de la République française ».
A la suite de ces pressions, le propriétaire de la salle où l’événement avait été initialement programmé, le Pavillon des princes, porte d’Auteuil, avait annulé la location. Le Fonds national juif, cheville ouvrière du mouvement sioniste, qui possède des centaines de milliers d’hectares de terres en Israël, avait aussi semblé prendre ses distances avec la cérémonie. L’organisation avait demandé que son logo soit retiré des images faisant la promotion de la réception sur les réseaux sociaux.
Visite houleuse à Washington
Puis, des journalistes israéliens, à l’instar de Tal Schneider, correspondante politique du Times of Israel, ont annoncé l’annulation de l’événement, affirmant que la crise politique en cours en Israël imposait que le ministre des finances accélère son retour à Tel-Aviv. Les organisateurs ont laissé dire. Interrogé par Le Monde, Nili Kupfer-Naouri, la fille de Jacques Kupfer, qui lui a succédé à la tête d’Israel is forever, dément toute opération d’intoxication. « Les organisations propalestiniennes ont cru que c’était annulé car le loueur de la première salle a cédé devant leurs menaces, mais nous, nous ne sommes pas du genre à céder devant les menaces terroristes. »
Finalement, les organisateurs ont trouvé une autre salle, prévenu discrètement leurs invités, et le champion des sionistes fondamentalistes a pu honorer leur invitation en toute tranquillité. Le logo du Fonds national juif a été projeté durant tout l’événement sur le grand écran dressé derrière la tribune. Seule une poignée de juifs français, informés à la dernière minute du changement de salle, ont réussi à venir manifester aux abords des Salons Hoche. Un important déploiement policier et la présence de membres du Betar, une organisation juive d’extrême droite, les ont empêchés d’y pénétrer. Lors d’une visite houleuse de M. Smotrich à Washington, dimanche 12 mars, plusieurs centaines de juifs américains avaient crié : « Honte » sous les fenêtres de son hôtel.
Interrogé sur place, par I24 News, sur le refus des chancelleries occidentales de le recevoir, le ministre israélien s’est efforcé de minimiser les désaccords. « Si nous avons des divergences de vues avec les Etats-Unis et avec la France, une amitié profonde nous unit, et une volonté de garantir la protection d’Israël et la sécurité des juifs à travers le monde », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Il n’est pas question d’envisager la création d’un Etat palestinien terroriste. »
Après son discours, M. Smotrich est rapidement parti prendre un avion pour Israël, où le gouvernement dont il fait partie est ébranlé par un gigantesque mouvement de contestation. Des centaines de milliers d’Israéliens manifestent chaque semaine contre le projet de réforme de la Cour suprême, porté par l’exécutif, qui menace d’anéantir le rôle de contre-pouvoir dévolu à cette institution. Lundi matin, depuis Ramallah, le premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a qualifié les propos parisiens de M. Smotrich d’« incendiaires ».
Benjamin Barthe
Le Monde du 20 mars 2023
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