Tarek Bitar, ce juge qui affronte le système libanais

 

Au palais de justice de Beyrouth, le bureau du juge Bitar, chargé du « dossier du siècle » est exigu. « On pourrait se croire dans le bureau d'un quelconque sous-officier d'un aéroport de province », note le père de la petite Alexandra décédée dans l'explosion au port de Beyrouth, qui a fait plus de 200 morts et 6500 blessés, le 4 août 2020. Mais l'habit ne fait pas le moine et le très discret Tarek Bitar, 47 ans, est en train de se faire un nom dans l'histoire judiciaire du pays. Il est la personnalité vers qui convergent à la fois tous les espoirs et toutes les haines d'un pays qui n'en a jamais été avare.
Pour les familles des victimes, il est l'homme de fer, le « petit juge » qui ne plie pas face aux puissants, leur refusant l'impunité dans laquelle ils se vautrent depuis la fin de la guerre du Liban. « Quand nous l'avons rencontré, il nous a dit avoir accepté le poste pour nous rendre justice et que cela seul comptait à ses yeux. Il savait qu'il y risquait sa carrière et sa vie éventuellement, mais il disait que les familles des victimes avaient le droit à la vérité et qu'il se battrait pour cela », se souvient encore Paul Najjar.
Pour ses contempteurs, en revanche, il est ce juge obtus, qui, au mieux, outrepasse ses fonctions, au pire, sert d'instrument à des puissances étrangères qui entendent faire rendre gorge à la communauté chiite. Le Hezbollah, par la voix de son chef Hassan Nasrallah, l'accuse de « politiser » le dossier en « choisissant ses cibles », en l'occurrence des personnalités chiites. « Dans ce dossier, le parti est aveugle ; il n'a pas réussi à percer les murs dont s'est entouré le juge. Ce qui explique sa virulence », fait valoir un analyste sous couvert d'anonymat.
Le juge a fait l'objet de nombreuses pressions, mais après les affrontements, qui ont fait 7 morts jeudi lors d'une manifestation « anti Bitar » organisée par le Hezbollah et Amal, sa détermination à poursuivre va être mise à rude épreuve. Peut-il mener à bien sa mission alors que la paix civile est en jeu ? « On lui fait un procès d'intention ; il faut le laisser aller jusqu'au bout de son enquête », le défend dans un communiqué le Club des juges, une association qui regroupe des magistrats indépendants.
L'homme sait naviguer au milieu des écueils : prudent, il cumule vingt ans d'expérience au sein de la magistrature et a traité de dossiers délicats comme celui de la petite Ella Tannous, victime d'une erreur médicale, dans lequel il avait fait condamner les médecins et les hôpitaux concernés à des indemnités considérables.
Son nom figurait parmi les personnalités que l'ancienne ministre de la Justice, Marie Claude Najm, avait présélectionnées pour s'occuper de l'enquête en août 2020. Elle disait rechercher de préférence « des juges à la fois assez expérimentés pour tenir le dossier et assez jeunes pour assumer de manière dynamique une charge de travail quotidienne très lourde, avec bien entendu les critères de compétence d'intégrité et d'indépendance. Il avait cette réputation parmi ses collègues juges et dans les milieux des avocats », avait-elle expliqué au Figaro. Mais il avait paru hésitant. « Si vous n'avez personne qui veuille prendre ce dossier, je suis prêt. Je suis juge de la République et c'est mon devoir », avait-il dit alors. Le Conseil supérieur de la magistrature avait finalement choisi Fadi Sawan, un magistrat plus senior, dont l'oligarchie avait obtenu le renvoi, laissant le champ libre à Tarek Bitar.

Par Muriel Rozelier
Le Figaro du 15 octobre 2021


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